La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -284-Laurent Hatat aborde le théâtre par la face Nord : celle du présent

Un théâtre où la pensée et l’émotion se provoquent, entretien avec Laurent Hatat

Un théâtre où la pensée et l’émotion se provoquent, entretien avec Laurent Hatat - Critique sortie Théâtre
© Victor Guillemot Laurent Hatat

Publié le 23 janvier 2020 - N° 284

Dire par les mots et les corps, ouvrir la voie à la compréhension, à de possibles émancipations… C’est ce qui anime le théâtre de Laurent Hatat et sa compagnie Anima Motrix.

Qu’est-ce qui motive votre démarche artistique ? En quoi votre théâtre est-il un théâtre au présent ?

Laurent Hatat : J’aspire à prêter voix à des pensées qui irriguent notre temps, à éclairer surtout ce qui qui fait rempart à l’émancipation. Toutes sortes de mécanismes de domination ou d’exclusion empêchent la fluidité sociale, génèrent injustices, inégalités et souffrances invisibles, maintiennent le statu quo. D’une manière modeste mais la plus pertinente possible, j’essaie de m’emparer de ces idées en créant un théâtre sensible qui n’est pas un théâtre documentaire, car je vise à faire naître une théâtralité où émerge l’émotion. Aussi complexes les choses soient-elles, je souhaite transposer et réinventer cette complexité par le biais de l’émotion, de situations incarnées, de fables assumées. Ce qui m’intéresse, c’est de trouver l’angle intime qui va faire exister les personnages, provoquer une mise en résonance qui interroge notre monde, notre nature humaine.

« Ce qui m’intéresse, c’est de trouver l’angle intime qui va provoquer une mise en résonance. »

Pourquoi avoir choisi l’adaptation de textes littéraires à la scène ?

L.H. : C’est une manière de faire que j’ai toujours pratiquée, depuis mes débuts. Elle me permet de tracer ma propre route au cœur des textes, qu’ils soient dramatiques ou non, de fouiller au plus juste jusqu’à dénicher et faire naître la théâtralité adéquate. Car chaque œuvre recèle et induit une rencontre singulière, qu’il s’agit de mettre en forme. Le théâtre se révèle ainsi très orchestral : c’est un endroit qui se construit à partir du texte et à partir des acteurs. Je transmets toujours aux comédiens une version de travail qui ensuite se modifie au fil des répétitions. L’adaptation préserve une liberté féconde jusqu’au dernier moment. La question de l’adresse au public, de la réception de l’œuvre implique une réflexion passionnante qui évolue sans cesse, qui se noue entre ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas, entre ce qu’on ressent, ce qu’on appréhende, et ce qu’un autre pourrait ressentir et appréhender.

Quelles différences entre l’adaptation de textes des siècles passés et ceux d’aujourd’hui ?

L.H. : Lorsque je mets en scène des auteurs classiques, principalement du XVIIIe siècle, tels par exemple Nanine de Voltaire (2012), La Précaution inutile ou Le Barbier de Séville de Beaumarchais (2010), Nathan le sage de G.E. Lessing (2008), je souhaite faire émerger des échos, des dissonances, des correspondances, utiliser parfois d’autres textes éclairants ou certains effets afin de créer une intelligence de plateau qui bouscule les règles, qui met en relief certaines servitudes. L’adaptation prochaine de La Mère coupable de Beaumarchais, dernier volet du roman de la famille Almaviva, interroge le corps social de l’époque, mais aussi le corps social d’aujourd’hui, qui prône l’égalité sans y parvenir. Avec les œuvres d’auteurs vivants – HHhH de Laurent Binet (2012), Retour à Reims* de Didier Eribon (2014), Une Adoration de Nancy Huston (2015) et cette saison Histoire de la violence d’Edouard Louis -, c’est à l’intérieur du regard actuel, pertinent et incisif de l’auteur que je construis le spectacle. J’aménage, mais je n’ajoute rien. Je suis au service du texte, que je m’emploie à théâtraliser. Comme le souligne si bien Nancy Huston, nous sommes « L’espèce fabulatrice », nous avons besoin de nous raconter des histoires, pour tenter de comprendre le monde, tenter de nous comprendre nous-mêmes, conjurer nos peurs. Et au théâtre, une fois que c’est dit, c’est entendu.

Propos recueillis par Agnès Santi

 

*Lire notre critique La Terrasse n°229

A propos de l'événement



Focus réalisé par Agnès Santi

 

Compagnie Anima Motrix.

Site : www.compagnieanimamotrix.fr

Tél : 01 44 84 72 20.

 

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