La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -248-MANUFACTURE DES OEILLETS / THÉÂTRE DES QUARTIERS D’IVRY

Œuvrer ici et jusqu’au bout du monde

Œuvrer ici et jusqu’au bout du monde - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Nabil Boutros

Entretien
Elisabeth Chailloux et Adel Hakim

Publié le 23 octobre 2016 - N° 248

Ils se sont rencontrés en 1980 sur le plateau du Théâtre du Soleil,  l’une en Ernestine, l’autre en Polichinelle ! Depuis, Elisabeth Chailloux et Adel Hakim œuvrent ensemble, en artistes, pédagogues et citoyens.

« Si le projet actuel a pu aboutir, c’est parce qu’il y avait quatre épaules pour le porter et non deux. » Adel Hakim

« On pourrait dire qu’Adel est un passeur d’idées et que je veux être une passeuse de textes. » Elisabeth Chailloux

Quelles ont été les grandes étapes de l’existence du TQI ?

Adel Hakim : De 1992 à 2002, le Théâtre des Quartiers d’Ivry/La Balance était une compagnie en résidence au Théâtre Antoine-Vitez, structure municipale. La Ville mettait à notre disposition des bureaux et une salle pour l’Atelier Théâtral. Il n’y avait donc pas de lieu autonome de programmation. Passés au statut de CDN en préfiguration en 2003, le TQI a continué sa collaboration avec le Théâtre Antoine-Vitez et disposé d’une salle à Arcueil. Puis, à partir de 2005, la Ville d’Ivry a mis à disposition le Studio Casanova, avec toujours la programmation de 75 représentations par saison au Théâtre Antoine-Vitez. En 2016, à La Manufacture des Oeillets, ce sera la première fois que le TQI réunira toutes ses activités sous le même toit.

Vous dites qu’il n’y a pas de théâtre sans volonté politique. Pourquoi ?

A. H. : Sans une volonté liée à la politique culturelle du Ministère de la Culture, de la Ville d’Ivry et du Département du Val-de-Marne, le chemin de notre projet artistique n’aurait pas pu être parcouru. Pierre Gosnat, maire d’Ivry de 1998 à 2015, a été l’initiateur de la création du CDN, de l’achat de La Manufacture par la Ville, de la réhabilitation architecturale de ce bâtiment historique. Les autres partenaires ont été convaincus par la volonté du maire et par notre projet artistique.

Elisabeth Chailloux : Ce n’est pas un hasard que les CDN soient dans ces villes qui ont toujours pensé la culture comme moyen d’affranchissement et d’émancipation : cette culture politique entraîne une politique culturelle ambitieuse.

Comment travailler ensemble quand on est deux metteurs en scène ?

A. H. : Si le projet actuel a pu aboutir, c’est parce qu’il y avait quatre épaules pour le porter et non deux. Entre 1984 et 1992, nous faisions les mises en scène pratiquement ensemble. Ensuite, nous avons cessé de le faire et notre forte collaboration a essentiellement été consacrée à l’évolution et au développement du TQI. Nos affinités artistiques respectives ont aussi permis d’équilibrer nos programmations en assurant une cohérence plutôt qu’un éclectisme.

Peut-on résumer l’esprit de votre travail théâtral ?

E. C. : Adel est un auteur : l’écriture, c’est lui. Tous deux comédiens et metteurs en scène, nous pouvons faire l’acteur l’un pour l’autre, ce qui est un très grand plaisir. Le partage des tâches s’est accentué avec la création du Théâtre des Quartiers du Monde. Pendant qu’Adel partait, entre autres, au Kirghizistan, au Chili, en Palestine, en Uruguay, j’ai pris en charge l’école et je me suis découvert une passion pour le partage et la transmission : nous sommes devenus encore plus complémentaires ! Nous sommes deux metteurs en scène très différents et deux artistes irréductibles. On pourrait dire qu’Adel est un passeur d’idées et que je veux être une passeuse de textes. Je crois qu’on n’habite pas seulement un pays, mais aussi une langue. Sarraute disait : « mes personnages, ce sont les mots »: pour moi, c’est de cela qu’il s’agit.

A. H. : Mes spectacles sont toujours liés au réel de notre monde : diversité culturelle, réalités de la banlieue, dénonciation des pouvoirs qui produisent corruption, injustices sociales et guerres. Ouvrir une autre fenêtre que celles que les médias nous imposent. Et que les publics de banlieue puissent se sentir concernés par notre travail. Jamais je n’aurais voulu diriger un théâtre dans les quartiers bourgeois de Paris.

Quelle place accordez-vous à l’action culturelle ?

E. C. : Deux phrases, pour tout dire ! « L’école est le plus grand théâtre du monde. », disait Vitez ; et Deleuze : « C’est ce que l’on recherche qu’on enseigne le mieux. » L’enseignement nourrit l’artiste ; il est un enrichissement indispensable et passionnant.

A. H. : L’Atelier Théâtral est fréquenté toutes les semaines par près de 200 personnes. Cet Atelier est un acte artistique et pas seulement une école. Nous avons aussi de nombreux ateliers hors les murs. Et beaucoup de rencontres entre artistes et spectateurs. Le potentiel espace-temps dans ce magnifique lieu qu’est La Manufacture des Oeillets est bien plus important qu’au Studio Casanova. Cela sera utile, c’est certain, pour l’action culturelle tout autant que pour la création artistique.

 

Propos recueillis par Catherine Robert

 

 

 

Manufacture des Œillets, Théâtre des Quartiers d’Ivry, Centre Dramatique National du Val-de-Marne,

1 Place Pierre Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine.

Tél : 01 43 90 11 11. www.theatre-quartiers-ivry.com

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