Maëlle Poésy met en scène 7 minutes de Stefano Massini

De 2015 à 2020, vous avez été accompagnée par le Théâtre du Gymnase. Vous y revenez avec une pièce différente de vos créations précédentes, qui n’est pas l’adaptation d’un texte existant, et qui est aussi plus frontalement politique. Pourquoi avoir voulu monter ce texte ?

Maëlle Poésy : Cette pièce, qui m’a été conseillée par le directeur de la Maison Antoine Vitez Laurent Mulheisen, m’a tout de suite intéressée pour ce qu’elle dit de nos limites, de nos marges de renoncement quand le collectif devient plus important que l’individuel. De générations et de cultures différentes, les onze ouvrières de 7 minutes du comité d’usine de Picard & Roche se retrouvent dans cette situation : elles doivent faire un choix qui engage les 200 employées qu’elles représentent. Je trouve très intéressante la manière dont la pièce traite le chemin qui mène vers la lutte, et non la lutte elle-même.

Quel est le choix en question et comment définit-il l’identité du groupe et de celles qui le constituent ?

M.P. : Par l’intermédiaire de la porte-parole du groupe, Blanche (Véronique Vella), la nouvelle direction de l’entreprise propose de maintenir tous les emplois à une condition : accepter de réduire de sept minutes les quinze minutes de pause quotidienne. Le choix imposé à ces femmes révèle leur désunion : bien que sans doute souhaitée, la solidarité est très difficile dans un contexte d’extrême compétitivité, où le temps est chronométré, surveillé.

« Il s’agit de créer une expérience pour le spectateur, qui prend symboliquement la place des 200 autres ouvrières. »

Quel regard Stefano Massini porte-t-il sur ces femmes ? Et vous ?

M.P. : Stefano Massini a construit une partition passionnante dans sa façon de donner à voir à la fois un groupe et des individualités en mouvement, qui évoluent vers une prise de conscience, sans dire ce qu’il faut penser d’eux. Mon choix de mise en scène consiste à conserver cette absence de jugement. Cela a été passionnant à travailler avec les comédiennes du Français, elles aussi très familières des enjeux du fonctionnement en collectif. Il est important pour moi que les réactions de chaque personnage soient toujours justifiables par rapport à un moment de vie : un besoin de liberté, une précarité…

Le texte vous a-t-il suffi pour nourrir votre approche du milieu ouvrier au plateau, ou vous êtes-vous nourrie d’une recherche ?

M.P. : Comme à mon habitude avec mon équipe, en particulier avec mon dramaturge Kevin Keiss, j’ai eu besoin de nourrir mon travail d’une recherche. Visiter des usines, rencontrer de nombreuses ouvrières a été très précieux pour moi. Les discussions que nous avons eues sur la solidarité, sur la rentabilité ont infusé mon travail au plateau. Le choix d’un dispositif bifrontal, et d’un espace hybride entre le lieu de pause et le local de stockage, doit par exemple beaucoup à mes visites, où j’ai constaté l’absence d’espaces vraiment pensés pour la réunion, pour l’échange. Il s’agit aussi de créer une expérience pour le spectateur, qui prend symboliquement la place des 200 autres ouvrières.

Propos recueillis par Anaïs Heluin