La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -270-Christian Huitorel

Le théâtre, un endroit émotionnel

Le théâtre, un endroit émotionnel - Critique sortie Théâtre Saumur Salle Beaurepaire
Christian Huitorel © D.R.

ENTRETIEN > CHRISTIAN HUITOREL

Publié le 19 octobre 2018 - N° 270

Après avoir monté Bérénice en 2014, Christian Huitorel s’attaque de nouveau à Racine avec Phèdre et la même comédienne, Caroline Froissard, dans le rôle-titre. Limpidité du texte, plateau nu, liberté donnée aux comédiens et rémanence font partie de ses fondamentaux.

« La liberté de Phèdre, c’est sa lucidité. »

Ce qui vous intéresse dans Phèdre, c’est son universalité et non son actualité. Pourquoi ?

Christian Huitorel : L’actualité, on la lit, on la vit, on la voit mais on la subit beaucoup alors que l’universalité nous nourrit. Dans les mythes, ce qui m’intéresse ce sont les passions, les sentiments, la façon dont les gens vivent ensemble. Ces comportements, ces moments de paix ou de conflits, les relations amoureuses ou politiques touchent à l’universalité puisqu’on peut imaginer qu’un sentiment de jalousie amoureuse n’était pas tellement différent au XVIIe ou au XIIe siècle, même si, peut-être, les actions qui en découlaient, ou les causes qui le provoquaient, étaient différentes. Ce que vit Phèdre, cette espèce de noyade dont elle est consciente, qu’elle refuse et qu’elle essaie jusqu’au bout d’éviter sans y arriver, cela nous pend au nez aussi ! Certes, les circonstances de la pièce sont particulières, Phèdre est la victime de Vénus, mais Vénus n’est que le nom qu’on donne à quelque chose qu’on ne comprend pas.

En quoi consiste la malédiction de Vénus et que reste-t-il alors du libre arbitre de Phèdre ?

C. H. : La pièce dit que Phèdre est maudite par Vénus mais on ne sait pas très bien pourquoi. L’histoire relève en fait du vaudeville ! Vénus trompe Vulcain avec Mars. Le Soleil les surprend et les dénonce à Vulcain qui enferme alors Mars et Vénus dans un lit avec un filet transparent. Les dieux de l’Olympe viennent assister à leurs ébats et s’amusent beaucoup. Vénus décide de se venger sur sa descendance : Pasiphaé et sa fille Phèdre. Que peut Phèdre contre cela ? Contre le désir qu’elle éprouve pour Hippolyte, un désir amoureux, physique, sulfureux et d’autant plus fort qu’il est interdit, elle ne peut rien faire d’autre que d’en être consciente et d’essayer par tous les moyens de lutter. La liberté de Phèdre, c’est sa lucidité. On sait combien Racine était préoccupé par la question du libre arbitre du fait de son éducation janséniste. Sa rupture avec les jansénistes était due évidemment à la façon dont ils voyaient le théâtre mais aussi à la question du libre arbitre. Racine donne à Phèdre non pas des chances de s’en sortir, mais la liberté d’en être consciente. C’est beau et universel.

Votre scénographie est très épurée. Est-ce pour laisser place à l’imagination du spectateur et accéder à l’universalité ?

C. H. : Exactement. Pour moi, le théâtre, ce sont des acteurs sur une scène qui racontent une histoire. J’éprouve beaucoup d’admiration pour le travail d’Antoine Vitez ou de Peter Brook. J’ai très vite vu et vérifié comme spectateur combien un plateau nu permet la suggestion et fait travailler le spectateur. Dans Phèdre, les sentiments sont tellement puissants, décortiqués, fouillés, exposés, racontés, portés par l’alexandrin qu’il n’y a pas besoin, à mon sens, de quoi que ce soit d’autre que ce banc. La pièce ne comporte qu’une didascalie : « Phèdre s’assied.» Ce banc est aussi d’un clin d’œil aux discussions de Racine avec les régisseurs pour obtenir qu’il n’y ait qu’une chaise sur le plateau. Ce qui m’intéresse, c’est d’avoir un espace vide, et de le remplir de ce que je peux voir dans la pièce, y compris son aspect politique. Artistiquement, l’espace nu correspond à ce que j’attends des comédiens : tout. Je les laisse venir. Après, je valide ou pas, mais je n’ai pas de vision formelle. Si je suis ému, si c’est crédible, je prends. Je sais exactement à quel endroit je vais mais j’y vais en accueillant les comédiens. C’est un endroit émotionnel. Je tiens à ce que mon travail soit émouvant et rémanent.

 

Isabelle Stibbe

A propos de l'événement

Phèdre de Racine
du mardi 6 novembre 2018 au jeudi 8 novembre 2018
Salle Beaurepaire
25 rue Beaurepaire, Saumur (49).

mise en scène Christian Huitorel.

Création les mardi 6 et jeudi 8 novembre 2018 à 20h

Tél. : 02 53 93 50 00.

Puis le 11 décembre au Centre d’art et de culture de Meudon et le 18 décembre au Théâtre Luxembourg de Meaux.

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