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"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -282-Nasser Djemaï

La collision des imaginaires, rencontre avec Nasser Djemaï

La collision des imaginaires, rencontre avec Nasser Djemaï - Critique sortie Théâtre
DR Nasser Djemaï

Entretien / Nasser Djemaï

Publié le 30 novembre 2019 - N° 282

Comment colmater les fissures qui fragilisent les êtres ? Nasser Djemaï répond en inventant des contes initiatiques épris de sens. A la frontière de plusieurs mondes.

Qu’est-ce qui a fait naître votre désir d’écriture et de mise en scène ?

Nasser Djemai : J’ai suivi une formation d’acteur en France et en Angleterre, auprès de grands metteurs en scène, et j’ai d’abord travaillé en tant qu’acteur. Puis j’ai voulu créer des histoires universelles nées de mon parcours singulier, de mon désir de raconter, nées aussi et peut-être surtout du sentiment de manque qui m’accompagne, lié à l’enfance. Mes parents, venus d’Algérie dans les années 1950, m’ont dit très peu de choses d’eux-mêmes. J’ai eu besoin de plonger dans ce gouffre, car je n’arrivais pas à trouver ma place, si ce n’est à travers des schémas conformistes de réussite. J’ai l’impression d’avoir grandi comme un orphelin avec des parents handicapés par leur histoire, par la langue, par un tas de choses. Mes parents sont à la fois présence et absence, et dans cet interstice paradoxal, je convoque des fantômes, je m’avance vers l’invisible, vers ce qui est ignoré. Ils m’ont légué une horloge brisée, et c’est au cœur de ce temps arrêté que je me suis livré à une introspection, que j’ai dû me réapproprier à la fois leur histoire et la mienne. Pour ça le théâtre, c’est génial !

« Ancrés dans un faux réalisme, mes textes s’aventurent dans un univers de tous les possibles. »

Quel rapport au réel votre écriture fabrique-t-elle ?

N.D. : L’écriture permet justement de réinventer le réel. Ce n’est pas particulièrement apaisant mais cela amène à voir le monde d’une autre manière, à voir tout et son contraire. Ancrés dans un faux réalisme, mes textes s’aventurent dans un univers de tous les possibles, entre la vie et la mort, entre le rire et les pleurs, entre la fiction et la réalité. Même si les pièces laissent souvent libre cours à des plongées oniriques, je prends appui sur l’existant. Pour Invisibles et Vertiges, j’ai enquêté pour ne pas perdre pied avec le réel, pour consolider le récit. Ces petites histoires que j’ai entendues, ces détails auxquels je n’aurais jamais pensé, ont permis de libérer des pensées coincées, de construire des personnages complexes. Des personnages souvent à la charnière de deux mondes, qui tentent de fuir un réel qu’ils ne supportent pas, entre un ancien monde dont le logiciel ne se serait pas mis à jour et un nouveau monde globalisé qui tend vers l’uniformisation et la financiarisation. Des traditions, des repères, des contes et légendes disparaissent, et les personnages révèlent de manière allégorique les mutations actuelles de notre société.

Quels sont les points communs et les lignes de force de votre trilogie ?  

N.D. : D’abord le temps qui passe, implacable. Et son corollaire, la transmission. Des lambeaux de l’ancien monde subsistent dans chacune des pièces ; plusieurs personnages, qui se font écho d’une pièce à l’autre, survivent dans un déni du réel, parfois en se drapant derrière de grandes pensées. Chaque histoire peut se concevoir comme une sorte de réparation du passé. Une étoile pour Noël, mon premier spectacle créé en 2005 et joué plus de 500 fois, fut un socle fondateur qui se prolonge par la trilogie. Invisibles éclaire l’histoire de ces immigrés arrivés en France dans les années 1950 et 1960 pour participer à sa reconstruction à bas coût. Une fois retraités, ils demeurèrent invisibles, pauvres, fatigués et parfois malades. Vertiges s’immisce à l’intérieur d’une famille à l’heure où le père vit ses derniers moments. Nadir, archétype de la réussite sociale, se voit rattrapé par les fantômes du passé et se questionne sur le rituel funéraire. Héritiers est une pièce où le déni de réalité est poussé si loin que la fiction prend le pouvoir  sur la réalité. La pièce met en lumière les difficultés d’une famille héritant d’une grande maison bourgeoise trop chère à entretenir. Les comédiens Sophie Rodrigues, Anthony Audoux, Chantal Trichet, Peter Bonke, Coco Felgeirolles, François Lequesne et David Migeot y effectuent un travail d’orfèvre. Jusqu’à dériver vers un ailleurs onirique…

 

Propos recueillis par Agnès Santi

 

Textes publiés aux éditions Actes Sud-Papiers

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