Grands Formats, 20 ans de vision large

Pas facile de faire du jazz — ou de le rêver — en grand. Réunir des musiciens, les faire répéter, les transporter de leur domicile jusqu’au lieu du concert, les loger, les rémunérer dans un cadre conventionnel… Tout cela à un coût qui, trop souvent, s’avère un frein à la diffusion du jazz en grand orchestre. Partie intégrante de la tradition du genre depuis ses quasi-origines sous la forme archétypale du big band, les grandes formations sont pourtant des espaces de création tout à fait singuliers, qui permettent aux compositeurs et aux arrangeurs de développer leur écriture et constituent de véritables fabriques de musique. C’est en partant de ce constat, confrontés à la difficulté de faire exister leurs orchestres, que plusieurs chefs, emmenés notamment par le contrebassiste Patrice Caratini, ont fondé Grands Formats, au début des années 2000, avec l’ambition de faire reconnaitre, par les instances culturelles, la singularité de leurs démarches et la nécessité de soutenir, notamment, ces orchestres.

Au cœur de l’exception culturelle

Vingt ans après, « ça se justifie encore », commente Camille Durand, alias Ellinoa, vice-présidente de la fédération. Pour la compositrice et directrice artistique du Wanderlust Orchestra, Grands Formats est une « force de résistance », qui contribue à défendre « une conception de la création qui est au cœur de l’exception culturelle française, qui considère que la création a une valeur en soi, qui n’est pas inféodée à sa valeur marchande ». C’est pour rappeler inlassablement cette spécificité à la filière musicale et faire entendre un autre discours que le modèle commercial dominant que se battent les membres de Grands Formats, qui rassemble actuellement 116 grandes formations et collectifs. « De la défense des grands orchestres, Grands Formats s’est ouvert à celle des collectifs, car les fonctionnements sont à peu près les mêmes : des directeurs artistiques qui essaient de faire vivre leurs projets à plusieurs », explique Alexandre Herer, président de la fédération, fier d’avoir pris le relais d’aînés comme Fred Pallem (Sacre du Tympan) ou Fred Maurin (actuel directeur de l’Orchestre national de jazz). Pilier du collectif Onze Heures Onze, membre du AUM Grand Ensemble, le pianiste pointe que « les problèmes de diffusion existent aussi sur les petites formes défendues par les collectifs » et revendique un modèle d’organisation alternatif à la logique label/manageur/tourneur dominante dans le secteur musical. Structurés en association ou en compagnie, les Grands Formats militent pour un soutien substantiel de ces structures artistiques, dont l’indépendance garantit une liberté de création. Fragilisés par le contexte post crise sanitaire, tous constatent, cependant, une contraction des perspectives de concerts, en lien avec une baisse des financements publics et une hausse des coûts de fonctionnement des lieux culturels.

80 concerts sur le territoire

L’anniversaire des vingt ans d’existence de la fédération tombe à point nommé pour rappeler de la plus belle des manières l’importance de ces orchestres et collectifs qui, réunis, représentent plus de 1 300 musiciens français de jazz professionnels. La fédération le marque tout d’abord en mettant en lumière, d’octobre à décembre, près de 80 concerts de ses membres disséminés sur tout le territoire, et même en Europe car, depuis quelques années, Grands Formats agrège, sous l’étiquette « Think Big! », plus d’une vingtaine de formations et collectifs européens. Trois d’entre eux participeront  à l’un des temps forts de ces festivités : le 15 décembre, le Jazz Station Big Band venu de Belgique accueillera, flanqués d’un soliste chacun, les chefs du Clasijazz Big Band, venu d’Espagne, et du Tower Jazz Composers Orchestra, originaire d’Italie, pour un concert à la Médiathèque Musicale de Paris dans lequel les partitions passeront de mains en mains. Le lendemain, 16 décembre, à la Maison de la Radio, ce sont le Kami Octet (dirigé par Pascal Charrier) et le Tentet de Laurent Cugny — figure éminente du jazz en grande formation dans l’Hexagone, qui présentera son nouveau répertoire Zeitgeist — qui se produiront en public. Entretemps, une table-ronde aura permis d’exposer les problématiques sur la « circulation nationale et européenne des équipes artistiques indépendantes » et de rappeler la manière dont ces hommes et ces femmes meneurs d’orchestres contribuent à la diversité musicale.

Vincent Bessières