La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -271-Le théâtre d’Ahmed Madani

Face à leur destin, un projet à l’écoute de la jeunesse

Face à leur destin, un projet à l’écoute de la jeunesse - Critique sortie Théâtre
© François-Louis Athénas

En tournée / texte et mes Ahmed Madani
Entretien Ahmed Madani

Publié le 28 novembre 2018 - N° 271

Ahmed Madani poursuit son cycle théâtral autour de la jeunesse des quartiers populaires avec J’ai rencontré Dieu sur Facebook, sa nouvelle création. Comme dans les autres pièces, l’être au monde dans toute la force de son humanité s’y exprime.

Que représente ce nouvel opus dans votre parcours ?

Ahmed Madani : Je poursuis avec cette nouvelle création un cycle artistique autour de la jeunesse des quartiers périphériques, intitulé Face à leur destin. Nourri d’éléments historiques et actuels, de littérature, de rencontres, ce cycle confronte une multitude de points de vue, questionne et met en perspective le présent et la mémoire, la pluralité des cultures, les relations familiales… Une fois terminé, ce projet comportera six pièces. Chaque œuvre chorale y est accompagnée par une forme plus classique. Le premier volet, consacré aux jeunes hommes, a donné naissance à deux créations : Illumination(s) (2012), une grande forme, et Je marche dans la nuit par un chemin mauvais (2014), conçu avec deux comédiens. Le second volet concerne les jeunes femmes : F(l)ammes (2016), toujours en tournée, fut créé avec une dizaine de jeunes femmes, alors que J’ai rencontré Dieu sur Facebook met en scène une mère, sa fille et un jeune homme, autour du sujet de l’embrigadement des jeunes femmes dans les mouvances jihadistes. Le troisième opus impliquera des jeunes femmes et des jeunes hommes, et la pièce à venir en 2020 intitulée Incandescences éclairera une quête à travers la relation entre une jeune femme et son père. Toutes les pièces explorent diversement une question passionnante : qu’est-ce que ces jeunes ont en héritage et que vont-ils transmettre à leurs enfants ?

Qu’est-ce qui a particulièrement nourri J’ai rencontré Dieu sur Facebook ?

A.M. :  Les attentats terroristes de janvier 2015 contre la rédaction de Charlie-Hebdo et l’Hypercacher de la Porte de Vincennes ont bouleversé l’écriture de ce texte, initiée en 2014, et imposé d’aborder les thèmes de la radicalisation, l’appartenance religieuse, la manipulation, le fonctionnement des réseaux sociaux, les relations et conflits intergénérationnels. La pièce dévoile un dialogue qui se délite entre Salima, enseignante de français dans un collège de banlieue, et Nina, sa fille de 15 ans marquée par la disparition de sa meilleure amie et tourmentée par une crise identitaire. Sur facebook, la rencontre avec un mystérieux Amar entraîne Nina sur la pente de la radicalisation, un poison proposant une voie pure, glorieuse, qui résout toutes les questions.

« Le théâtre est un endroit où on peut réfléchir dans la joie. »

Comment concevez-vous le rapport au public ?

A.M. : Le théâtre est un art de la présence, dans l’instant du face-à-face entre acteurs et spectateurs. Dans mes spectacles, la notion d’adresse est un élément essentiel de la dramaturgie, les interprètes racontent, parlent. Il s’agit de faire théâtre sans le théâtre, sans effets, en donnant vraiment l’impression d’être et non pas de jouer. Je souhaite faire tomber les masques, et susciter l’empathie. Ce sont les choses fondamentales de notre humanité qui m’intéressent : l’amour, la solitude, la mort, la perte d’un être cher… Au-delà de la culture et de l’histoire de chacun, au-delà de la dimension sociale et politique de mes propositions, je cherche à créer un théâtre où le spectateur puisse se reconnaître. Et un théâtre qui s’ouvre aux jeunes, dans les salles et sur scène.

Comment votre théâtre s’empare-t-il du réel ?

A.M. : Le théâtre me permet de transcender le réel, de l’amener à un endroit autre. Comme dans un rêve, un mécanisme de déplacement est à l’œuvre. Entre les mots, à l’intérieur de la narration, se nichent un sous-texte, des choses qu’on ressent, comme la détresse, l’espérance, des failles qui s’ouvrent ou se referment… Le théâtre permet d’appréhender les drames avec une forme de légèreté. Malgré la crise économique, la relégation des quartiers périphériques, la responsabilité de l’Etat qui se délite face à une économie globalisée, je défends l’espérance. Je me suis aperçu que sur un sujet aussi terrifiant que la radicalisation religieuse, j’ai écrit une pièce qui s’apparente davantage à une comédie qu’à une tragédie, où, si on n’évite pas le drame, une dédramatisation a lieu. Sans doute parce que j’éprouve une appétence pour l’humain, pour ses fragilités, ses incohérences et même sa méchanceté. Je m’efforce de sauver mes personnages, de les comprendre. Le théâtre est un endroit où on peut réfléchir dans la joie, ce qui est génial !

 

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement



Site : madanicompagnie.fr

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