La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -324-Le Théâtre Kléber Méleau célèbre les voix de l’imaginaire

Fabriquer des rêves de théâtre au TKM, c’est l’ambition d’Omar Porras, qui crée « La Tempête ou la voix du vent »

Fabriquer des rêves de théâtre au TKM, c’est l’ambition d’Omar Porras, qui crée « La Tempête ou la voix du vent » - Critique sortie  Renens-Malley TKM - Théâtre Kléber-Méleau
© Mario del Curto Omar Porras, directeur du TKM et metteur en scène de La Tempête

Texte de Shakespeare / adaptation Marco Sabbatini et Omar Porras / mise en scène Omar Porras

Publié le 31 août 2024 - N° 324

À la tête du TKM – Théâtre Kléber-Méleau depuis 2015, Omar Porras propose une saison chatoyante et met en scène La Tempête ou la voix du vent de Shakespeare avec neuf comédiennes et comédiens, dont Karl Eberhard dans le rôle de Prospero.     

Qu’est-ce qui caractérise cette nouvelle saison théâtrale ?

Omar Porras : La saison voyage entre diverses esthétiques, entre textes du répertoire et pièces contemporaines, avec cette année un peu moins de spectacles mais d’une durée prolongée. Je réalise pour ma part une seule grande création au lieu de deux habituellement. Les temps plutôt difficiles incitent à la prudence et nous appellent à travailler autrement, en « désaccélérant ». Ce temps prolongé offre une plus importante opportunité de découverte au public et garantit davantage de travail aux équipes. Nous sommes attentifs à la transmission, notamment aux plus jeunes, ainsi qu’à notre fonction de théâtre producteur, en faisant particulièrement place à des compagnies locales et en développant diverses collaborations, avec par exemple l’Opéra de Lausanne. Parmi les artistes que nous défendons Maryse Estier, originaire de Renens à l’Ouest de Lausanne, formée en France et récemment programmée à la Comédie-Française, a choisi de mettre en scène Le Dindon de Feydeau et sa langue rythmique. Jean Liermier, directeur du Théâtre du Carouge, porte à la scène la comédie généreuse La Crise de Coline Serreau. Le Suisse fribourgeois Julien Schmutz adapte Le bizarre incident du chien pendant la nuit d’après le roman de Mark Haddon en une singulière partition chorale.

Vous-même revenez à Shakespeare avec La Tempête, en adaptant légèrement le texte ? Pourquoi ce choix ?

O.P.: Je devais partir à la rencontre de la communauté Kogi de tradition millénaire repliée au Nord de la Colombie. Leur bibliothèque, c’est la montagne. Notre rencontre n’a pu se faire, alors j’ai décidé de mettre en scène La Tempête, un texte majeur de la culture occidentale qui pose de manière indirecte des questions essentielles sur le rapport à la nature, sur la parole de la nature. Les naufragés qui arrivent sur l’île suite à la tempête déclenchée par Prospero se rendent compte que la nature, comme le vent, a une voix. Grâce à l’artifice de la magie de Prospero, les arrivants découvrent une autre perception du réel qui englobe le mystère de la nature et les révèle à eux-mêmes. Shakespeare a écrit La Tempête environ un siècle après la découverte par l’Europe de l’Amérique, qui a bouleversé la pensée, la spiritualité. Avec cette pièce, il éclaire les enjeux de la découverte d’un nouveau monde. Au cours des répétitions, j’ai réalisé que la question post-coloniale, que je pensais centrale, s’est éloignée. Car au-delà de l’idée d’une mémoire mise à mal l’île pour moi représente la nature, l’espace d’un théâtre vide qui est investi par l’imagination de l’acteur, par les outils de la création théâtrale.

« Malgré sa densité poétique et spirituelle, La Tempête est une comédie. »  

Quels sont ces outils ?

O.P.: Le texte offre la possibilité d’explorer différentes facettes du théâtre qui ont traversé l’Histoire et le monde : les marionnettes, les ombres chinoises, les masques, la magie… Ce que les arrivants vont découvrir sur cette île c’est une nature singulière, pleine de fantaisie et d’illusion. Elle est représentée par des objets et des marionnettes élaborés par Carole Allemand Delassus, qui a beaucoup travaillé avec Christian Hecq et Valérie Lesort. Nous travaillons les apparitions et disparitions d’Ariel et sa bande en mobilisant tous ces moyens. La pièce nous invite à rechercher des influences en Europe et ailleurs, j’ai plaisir par exemple à m’inspirer du théâtre indien ou balinais. La musique et le chant sont aussi très présents. De plus, les comédiens et moi avons été surpris de constater que la pièce est traversée par l’humour. Malgré sa densité poétique et spirituelle, La Tempête est une comédie.

Comment définissez-vous Prospero ?

O.P.: Prospero est un démiurge, un metteur en scène. Comme une sorte de Faust perdu, il s’interroge sur l’avenir de l’humanité après la conquête d’un territoire nouveau. Avant d’être expulsé de son royaume, Prospero s’est intéressé aux sciences occultes, à l’hermétisme, qui étaient interdits. Il bénéficie d’un double apprentissage, celui d’un savoir académique et celui de la magie, presque d’un chamanisme. Quand grâce à ses connaissances il parvient à obtenir vengeance, il abandonne. Il enlève son manteau de magie pour remettre celui du duc de Milan. De manière ambiguë, il retrouve sa couronne terrestre. Il expérimente les notions de pardon et liberté grâce à l’amour, car sa fille Miranda est amoureuse du fils de son ennemi. Certains le considèrent comme un tyran. Mais plutôt qu’une toute puissance, je vois dans Prospero la beauté de la fragilité humaine.

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement

La Tempête ou la voix du vent
du mardi 24 septembre 2024 au dimanche 13 octobre 2024
TKM - Théâtre Kléber-Méleau
TKM – Théâtre Kléber Méleau, Chemin de l’Usine à Gaz 9, CH – 1020 Renens-Malley, Suisse

Du 24 septembre au 13 octobre 2024.

Tél : +41 21 625 84 29.

www.tkm.ch

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