La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -208-Théâtre National de Toulouse

Entretien Laurent Pelly

Entretien Laurent Pelly - Critique sortie Théâtre Toulouse TNT - Théâtre National de Toulouse
Laurent-Pelly © pologarat-odessa1

Mangeront-ils ? / de Victor Hugo / mes de Laurent Pelly

Publié le 25 mars 2013 - N° 208

Un théâtre de la démesure

Après Mille francs de récompense, Laurent Pelly, metteur en scène et codirecteur du TNT, retrouve le théâtre en liberté de Victor Hugo avec Mangeront-ils ?

« Le théâtre de Hugo rend intelligent ! »

Pourquoi avoir choisi cette thématique autour des « Insensés » ?

Laurent Pelly : Les thématiques de nos saisons partent d’envies ou d’idées autour d’une création. Le point de départ, en l’occurrence, était Mangeront-ils ? S’est ajouté le spectacle sur Satie, par Agathe Mélinand. C’est Agathe qui a trouvé cette notion d’insensé, qui s’applique parfaitement au théâtre en liberté de Victor Hugo qui, malgré sa forme classique, est un théâtre sans limites, aux alexandrins fous et débridés. Théâtre en liberté est le recueil des pièces dramatiques écrites durant l’exil à Jersey et Guernesey. Hugo ne voulait pas que son théâtre soit à nouveau joué en France tant que la liberté n’y était pas revenue. Mais cette liberté n’est pas seulement celle qui manque à l’exilé : elle est aussi la forme de ce théâtre. Que ce soit dans Mille francs de récompense, parodie de mélodrame que j’ai précédemment mise en scène, dans La Forêt mouillée, dans La Grand-mère, dans Torquemada, et toutes les autres pièces de ce recueil, on sent que Hugo n’est pas limité par la contrainte de la scène. Quand on lit Mangeront-ils ?, on se demande comment le représenter ! J’aime beaucoup l’idée qu’on se perde dans l’imaginaire d’un auteur, la folie d’une écriture, tout en parlant de choses extrêmement concrètes. Et il y a, en plus, dans cette pièce, une dose d’humour très importante, loin du cliché qu’on se fait de Hugo.

Comment affrontez-vous cette démesure ?

L. P. : Elle est à prendre à notre compte et à restituer. C’est un pari et un enjeu qui me plaisent beaucoup. C’est aussi une drôle de chose pour les acteurs, car la forme, la versification, la longueur des tirades (l’une d’elles fait six pages !) sont sans limites. Il faut qu’ils s’approprient cette langue, et cet alexandrin plus proche de celui de Rostand que de celui de Racine, tout en conservant la légèreté et l’humour. Car il y a tout et son contraire chez Hugo, tout le temps. C’est toute la complexité de cette forme. La première chose à considérer, ce sont les mots. On n’est pas exclusivement dans de la mise en scène quand on arrive à faire entendre et fonctionner une réplique de trois pages, à en faire entendre le souffle. L’image crée une ambiance, une poésie, elle fait perdre les repères, mais avant tout, importent les mots.

Comment mettre en scène ce théâtre démesuré ?

L. P. : La pièce raconte l’histoire du roi de l’île de Man, située à l’ouest des côtes anglaises. Il est à la poursuite de sa nièce, dont il est amoureux, et d’un jeune homme qui veut épouser la jeune fille. Les amoureux se refugient dans la ruine sacrée d’un cloître où le roi et ses archets ne peuvent pas entrer. Mais la végétation de leur asile est empoisonnée : ils ne peuvent ni boire ni manger. Un voleur au grand cœur décide alors de les sauver en leur apportant à manger. La pièce n’est pas réaliste, et il faut réussir à rendre en images cet univers halluciné. C’est pourquoi j’ai choisi une scénographie qui joue de la démesure : à la fois, elle perd le spectateur dans ses repères traditionnels et crée, pour les acteurs, la contrainte et le déplacement sur le plateau. J’accorde beaucoup d’importance à l’image dans mes spectacles, et j’aime l’idée que le spectateur puisse perdre ses repères d’espace et de perspective.

Comment ?

L. P. : En inversant l’image. Logiquement, le cloître devrait être au fond du plateau, pour signifier le refuge. Or, là, j’ai fait comme si le cloître était dans la salle. On voit les personnages comme s’ils étaient enfermés à l’extérieur, comme si nous les regardions de l’intérieur. Le spectateur devient presque la végétation empoisonnée dont il faut se garder.

Comment le spectateur reçoit-il ce théâtre ?

L. P. : La jubilation naît au bout de trente secondes de spectacle ! On a envie de savoir ce qui va se passer, le suspense est extraordinaire. Et il y a aussi ce regard humaniste de Hugo, sa révolte contre l’injustice, la tyrannie, la peine de mort. Dans toute son œuvre, Hugo éveille la conscience, avec cet appétit féroce et cette générosité incroyable : il y a aussi un vrai plaisir à être le spectateur de cela. Le théâtre de Hugo rend intelligent !

 

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Mangeront-ils ?
du mardi 2 avril 2013 au samedi 20 avril 2013
TNT - Théâtre National de Toulouse
1, rue Pierre-Baudis, 31000 Toulouse

Tél : 05 34 45 05 05. www.tnt-cite.com
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