La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -142-Un théâtre universel, au c?ur de l?être

Entretien Declan Donnellan Cymbeline : pour une rédemption spirituelle

Entretien Declan Donnellan

Cymbeline : pour une rédemption spirituelle - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 novembre 2006 - N° 142

De Pouchkine à Tchekhov, sans oublier bien sûr Shakespeare, dont il a monté
de nombreuses pièces, les mises en scène de Declan Donnellan frappent par leur
intensité dramatique et la vitalité inventive du travail des acteurs. Sa venue
au théâtre des Gémeaux depuis plusieurs saisons déjà est un moment très attendu.
Cette année il met en scène Cymbeline (1609), l’une des dernières pièces
de l’immense William qui s’apparente aux « romances », pièces hybrides
mêlant éléments comiques et tragiques, plus concernées par le thème du pardon
que par celui de la vengeance. Roi de Bretagne, Cymbeline découvre que sa fille
Imogène a épousé secrètement Posthumus, il réprouve cette union que lui révèle
la reine et souhaitait qu?Imogène épouse son beau-fils Cloten. Posthumus doit
s’enfuir à Rome où il rencontre Iachimo, qui fait le pari de séduire Imogène.
Exubérant, complexe, pétri de surnaturel, ce conte mystérieux côtoie de près la
terrible réalité de la mort’ pour finir par une réconciliation générale et
aborder le thème de la rédemption.

Pourquoi avoir choisi cette flamboyante pièce de Shakespeare, cultivant une
ambiguïté constante dans les situations et les personnages ?

A la fin de sa vie, Shakespeare a trouvé une forme pour s’exprimer
spirituellement à travers quatre pièces, Périclès, Cymbeline, Le Conte
d’Hiver
et La tempête. On peut discerner les mêmes éléments dans les
quatre pièces, comme par exemple le thème important de la résurrection : celui
qui est cru mort revit, tel Posthumus dans Cymbeline, dont le
cadavre décapité, reconnu par Imogène, n?est en fait pas le sien. Shakespeare
choisit une forme pour essayer de mettre en ?uvre la rédemption, ce qui est très
rare en art et en littérature. Généralement, une pièce de théâtre sérieuse est
en même temps tragique, or Shakespeare aborde des thèmes très sérieux avec
beaucoup d’humour. De telles pièces sont très originales. J’aime beaucoup les
tragédies ou les comédies shakespeariennes, mais les pièces qui expriment la
douleur de la vie et contiennent quand même un élément de rédemption à la fin
font exception, et je suis à leur recherche !

Le vraisemblable est ici absent, on ne croit pas du tout à la psychologie des
personnages’

Shakespeare ne s’intéresse pas du tout à la vraisemblance. Bien sûr certaines
pièces comme Othello recèlent des analyses psychologiques profondes mais
il est trompeur d’essayer de traiter ces pièces avec une sensibilité
post-romantique ou post-freudienne. Toutes ces révolutions nous ont évidemment
changés et il est très intéressant d’y réfléchir, mais quand on met en scène ces
pièces, il est important de se libérer de ces idées qui peuvent être
tyranniques. Ce qui en jeu n?est pas une histoire psychologique, c’est très
spirituel et très humain. Les thèmes de la séparation, l’abandon, et l’amour
sont essentiels dans la pièce. Il y a dans Cymbeline une atmosphère que
j’adore, la pièce déploie une mystérieuse présence de la vie comme de la mort.

Au-delà de l’amour entre Imogène et Posthumus et des histoires individuelles,
la pièce relate-t-elle donc une expérience humaine plus large, plus symbolique,
liée à une transcendance ?

Il y a beaucoup d’amour dans la pièce et un sens de Dieu qui est beaucoup
plus profond que celui de Jupiter. Le parti puritain interdisait de parler de
Dieu, ce qui explique les références à Jupiter. Dieu est un mystère pour
Shakespeare, ce n?est pas exactement le Dieu chrétien même si la moralité est
assez chrétienne. La transcendance est toujours là, dans toutes ses ?uvres,
c’est un élément très shakespearien. Dans Lear comme dans Macbeth,
des tragédies terrifiantes, on peut sentir un peu d’air, et beaucoup moins dans
les jeunes comédies comme Le Songe. Dans le cycle des quatre pièces que
nous avons mentionnées, cet aspect est très développé. Je pense que Shakespeare
était un catholique secret parce qu’il n?a jamais écrit une de ces tragédies de
vengeance très populaires, qui avaient toujours lieu dans une cour italienne ou
espagnole avec des prêtres empoisonneurs, ce qui flattait la sensibilité
nationaliste en train de grandir en Angleterre. Les tragédies de Shakespeare ont
toujours évité cela, elles se passent au Danemark, en Ecosse, dans des pays du
Nord. Et quand Shakespeare écrit une tragédie méditerranéenne, c’est Othello,
qui se déroule principalement à Venise, or un état plus séculier que la Venise
d’Othello, c’est impossible à trouver !

« Dans mon travail j’éprouve une véritable aversion pour le sentimentalisme,
qui consiste à nier l’ambivalence de la vie. »

Comment envisagez-vous le mal chez les personnages shakespeariens ?

Le mal existe peut-être mais ce n?est pas utile de penser dans ces termes. Un
acte peut être profondément et absolument mauvais, mais l’être humain ne peut
pas l’être. On peut toujours essayer de comprendre Iago ou Malvoglio sans juger.
Je pense que l’art est l’envers polaire du jugement, celui qui est artiste ne
peut pas être juge. Dans mon travail j’éprouve une véritable aversion pour le
sentimentalisme, qui consiste à nier l’ambivalence de la vie. Shakespeare ne
sait pas être sentimental, ne peut pas l’être. Je pense que tous les grands
écrivains, tels aussi Pouchkine ou Tchekhov, ont cette qualité. Dans beaucoup de
pays les personnages de Tchekhov sont sentimentalisés, alors que son ?il de
médecin exerce une analyse féroce de la condition humaine. Les grands écrivains
ont le désir d’éviter, et de détruire le sentimentalisme, ce qui est impossible.
Cet ennemi consiste en une émotion fausse, un partage, une division entre celui
qui est sauvé et celui qui ne l’est pas, celui qui est bon, celui qui est
mauvais. On ne peut pas aimer et sentimentaliser en même temps, l’amour, c’est
d’être présent avec quelqu’un d’autre qui est hors de soi. Si on sentimentalise
quelqu’un, on le réduit à une projection de ce qui est en soi, on ne peut plus
vraiment le voir.

Propos recueillis par Agnès Santi

 

Cymbeline de Shakespeare, mise en scène de Declan Donnellan du 7 au 25 mars
2007

A propos de l'événement



x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre