Armand Gatti / Etre des arbres connectés aux étoiles
Lecture des Pigeons de la Grande Guerre, [...]
Focus -203-Festival Montreuil-Roma
Voyage dans la mémoire d’un fils évoquant son père et son grand-père ; retour sur la condition précaire des travailleurs d’aujourd’hui : Récits d’un fracassé de guerre et Lutte de classes offrent l’occasion de découvrir l’écriture et l’œuvre d’Ascanio Celestini, écrivain et figure emblématique du théâtre italien.
Comment composez-vous vos textes ?
Ascanio Celestini : Je commence par réaliser des interviews pour recueillir la concrétude et le vécu quotidien. Pour raconter une histoire de guerre, il faut être capable de raconter aussi ce qui n’est pas directement lié à la guerre, mais qui se déroule à ses côtés, ce qui résiste malgré tout. Pour Récits d’un fracassé de guerre, je suis parti des témoignages de mon père, alors que pour Lutte de classes, j’ai suivi l’histoire d’un groupe de travailleurs d’un grand call center. Avant l’écriture du livre, j’ai fait des dizaines d’entretiens, une transmission radiophonique et un documentaire.
Récits d’un fracassé de guerre évoque la fin de la Seconde Guerre mondiale en Italie. Pourquoi avoir choisi cette période ?
A. C. : Dans la mémoire des Italiens, les événements de la Seconde Guerre mondiale sont un grand moment collectif. La vie privée a été complètement annihilée. La plupart des histoires que j’ai recueillies ne concernent pas la sphère privée, le simple individu, mais impliquent toujours un réseau de relations plus vastes. C’est le contraire de ce qui se passe dans le présent, où la majorité des besoins et des attentes est liée à la sphère privée. Pour cette raison, ces histoires sont toujours positives, même si elles sont traversées par la violence et les abus. L’Italie de ces années-là se montre comme une communauté dépourvue du besoin d’être une nation rhétorique et institutionnelle.
Que pensez-vous qui demeure de la lutte des classes aujourd’hui ?
A. C. : La lutte de classe est inévitable dans une société divisée en plusieurs classes. Il faut plutôt essayer de comprendre qui s’en rend compte ou non, qui lutte avec conscience et qui en subit les conséquences. Les classes dominantes sont conscientes de ces divisions et en profitent. Le problème est que ceux qui vivent dans des conditions d’exploitation ne s’aperçoivent pas qu’ils sont les victimes de ce conflit. Dans mon récit, les personnages sont conscients uniquement lorsque l’histoire qu’ils sont en train de vivre leur explose en pleine face.
Ecrivez-vous pour redonner une dignité à tous ces fracassés ?
A. C. : Je m’intéresse aux personnages qui vivent dans des conditions extrêmes non pas parce que cela a un sens politique, mais parce qu’ils sont humainement plus intéressants. C’est dans le désœuvrement que la condition humaine est la plus évidente, dans le déséquilibre que l’on peut voir notre capacité à tenir debout.
Propos recueillis par Catherine Robert. Traduction d’Ingrid Janssen et Luciano Travaglino. Remerciements à Paolo Gorietti.
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