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Focus -274-Le Munstrum Théâtre

40° sous zéro, de feu et de glace de Copi, rencontre avec Louis Arene, Lionel Lingelser et Kevin Keiss

40° sous zéro, de feu et de glace de Copi, rencontre avec Louis Arene, Lionel Lingelser et Kevin Keiss - Critique sortie Théâtre Mulhouse La Filature à Mulhouse
Lionel Lingelser © Stephane_Pitti

La Filature / Théâtre de Vanves / texte de Copi / mise en scène Louis Arene

Publié le 24 février 2019 - N° 274

C’est à partir des angoisses de notre époque que les co-fondateurs du Munstrum Théâtre Louis Arene et Lionel Lingelser, rejoints par l’auteur et dramaturge Kevin Keiss, questionnent et réinventent le théâtre de Copi.

Comment votre collaboration et vos affinités se sont-elles construites ?

Lionel Lingelser : Notre première collaboration s’est tenue lorsqu’Alexandre Ethève, l’un des acteurs de la compagnie, a souhaité créer un seul en scène à partir de la bande dessinée Joe l’aventure intérieure de Grant Morrison. Kevin a écrit pour lui Je vous jure que je peux le faire (éditions Actes Sud), une pièce où le jeune héros transforme le deuil de son père. Puis Kevin a découvert notre univers et notre travail spécifique relié au masque. Il nous a confortés dans notre démarche qui à travers la poésie et l’étrangeté des corps questionne et donne sens au masque contemporain. Son regard et ses mots éclairent cette étrangeté, encouragent notre quête théâtrale. Ce qui est intéressant, c’est que notre recherche transforme la primauté des mots, tend à ce que le corps devienne narratif au-delà du sens même des textes.

« Jouer avec Copi, c’est militer pour sa survie, par pur plaisir. » Lionel Lingelser

Kevin Keiss © Jean-Louis Fernandez

Kevin Keiss : Notre complicité s’est mise en place de manière naturelle, très simple. En tant qu’auteur, je suis très sensible à l’esthétique des plateaux, sans doute grâce à ma formation à l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg dans la section mise en scène et dramaturgie. Nous créons un langage commun où se conjuguent enjeux stylistiques et esthétiques, où s’accordent la direction d’acteurs, le jeu et les réalisations des divers corps de métier, pour que tous les signes sur scène fassent sens et créent une cohérence. Pour chacune de ses mises en scène, le Munstrum théâtre met en place une réinvention de la manière dont on peut jouer masqué aujourd’hui. C’est très motivant. Dans ces deux pièces de Copi, les personnages et leurs corps se métamorphosent par le langage. Dire quelque chose, c’est le faire exister sur scène, dans une dimension performative.

« Les personnages et leurs corps se métamorphosent par le langage. » Kevin Keiss

Louis Arene © Zoé Arene

Louis Arene : Pour les textes de Copi, nous construisons une dramaturgie fondée sur les corps, la sensualité, la picturalité, et comme toujours le plaisir du jeu. 40° sous zéro, dont la tonalité tranche avec l’atmosphère sombre et très épurée de la pièce Le Chien, la nuit et le couteau de Mayenburg, déploie une sorte de cabaret vertigineux, avec une physicalité spécifique. Je suis d’autant plus heureux de la présence de Kevin que pour cette pièce je suis metteur en scène et comédien. Nous utilisons à nouveau le masque, comme une seconde peau, un artifice extrême pour une extrême sincérité. Assisté de Karelle Durand, Christian Lacroix, que j’ai rencontré lorsque j’étais pensionnaire à la Comédie-Française, a conçu les costumes, créant des figures totémiques sublimes et monstrueuses.

Pourquoi avoir choisi de porter à la scène ces deux pièces de Copi ?

L. A. : Lorsque j’étais au Conservatoire, L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer me faisait mourir de rire ! Plus tard, avec Lionel, nous avons tous deux été comédiens dans la mise en scène de Philippe Calvario de la dernière pièce de Copi, Une Visite inopportune, écrite alors qu’il était en train de mourir du sida. C’est un texte magnifique où le rire dépasse la douleur. Ce que j’aime chez Copi, et qu’on retrouve dans les deux pièces que nous réunissons, c’est cette tension entre le kitsch et le sublime. Elles déploient des intrigues extravagantes, une folie démesurée, une férocité de feu et de glace ! Copi est un auteur cathartique, à l’écriture sensitive. Semblables à un tableau d’art abstrait, les pièces dépassent les enjeux du sens. Comme dans un champ de bataille né de la barbarie du monde, les pulsions de domination, possession ou cupidité s’exacerbent et se répètent. Nous fabriquons le moment théâtral comme une quête d’intensité, en utilisant des objets de récupération pour créer une sorte de projection poétique d’un monde d’après la catastrophe. Comme souvent, nous travaillons sur les tensions entre le comique et le tragique, l’ombre et la lumière, le sacré et le profane. Ces ambivalences font l’éloge du doute, peuvent mener à une sorte de transe libératrice.

« Copi est un auteur cathartique. » Louis Arene

L. I. : Si, trente ans après sa mort, Copi est assez peu mis en scène, c’est sans doute parce qu’il est de manière réductrice associé à l’imagerie queer, aux archétypes de « la folle ». Aujourd’hui, au-delà des revendications homosexuelles et des questions de genre, nous questionnons autrement ces personnages grotesques qui meurent, ressuscitent, interrogent la barbarie du monde dans une sorte de cérémonie sacrificielle, d’enquête irrésolue sans queue ni tête. Les acteurs disaient que jouer avec Copi, c’est militer pour sa survie, par pur plaisir, comme dans un jeu d’enfant. Copi affirmait à propos des personnages de L’Homosexuel que l’exubérance n’est pas l’ennemi de la pudeur et du mystère. C’est ce mystère que l’on veut aller chercher dans les personnages. Sophie Botte, Delphine Cottu, Olivia Dalric, Alexandre Éthève et François Praud nous accompagnent, dans une énergie et un souffle communs.

K. K. : Les deux pièces ont pour similitudes le huis clos, l’enfermement, l’éloignement – l’une en Sibérie, l’autre en Alaska -, l’obsession du départ. Et un froid extrême, ce qui oblige à une panoplie de combat ! Si elles s’insurgent contre la bourgeoisie et l’ordre établi, elles dynamitent aussi tous les codes et conventions du théâtre, et comme en écho à Victor Hugo dans la préface de Cromwell s’appuient sur le grotesque pour atteindre une forme de beauté. Elles vont jusqu’à faire émerger un univers post-dramatique où n’ont plus cours la narration, l’incarnation ou la psychologie, où sur des décombres le monde est à réinventer. Au-delà des mots et du sens, le théâtre s’affirme ici surtout par l’une de ses vertus les plus puissantes : le bonheur de jouer. Nous aimerions que les spectateurs aussi se connectent à ces sensations fortes, libératrices. Comme une fête de la vie.

A propos de l'événement

40° sous zéro, de feu et de glace de Copi, rencontre avec Louis Arene, Lionel Lingelser et Kevin Keiss
du mardi 5 mars 2019 au vendredi 8 mars 2019
La Filature à Mulhouse
20 Allée Nathan Katz, 68090 Mulhouse

Du 5 au 8 mars 2019 à 20h sauf le 7 à 19h.  Tél : 03 89 36 28 28. Théâtre de Vanves, 2 rue Sadi Carnot, 92170 Vanves. Le 23 mars à 20h. Festival Artdanthé. Tél : 01 41 33 93 70.

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