La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2025 - Entretien / Tiago Rodrigues

Ensemble au Festival d’Avignon, rencontre avec Tiago Rodrigues

Ensemble au Festival d’Avignon, rencontre avec Tiago Rodrigues - Critique sortie Avignon / 2025 Avignon
© Christophe Raynaud de Lage Tiago Rodrigues, metteur en scène et directeur du Festival d’Avignon

L’Autre Scène du Grand Avignon / texte et mise en scène Tiago Rodrigues

Publié le 20 juin 2025 - N° 334

Metteur en scène et directeur du Festival d’Avignon, Tiago Rodrigues présente sa troisième édition, qui a lieu du 5 au 26 juillet 2025 – des dates pour la première fois identiques à celles du Off. Il crée cette année La Distance, dialogue interplanétaire entre un père et sa fille, alors que la Terre s’abîme.

Après trois ans d’expérience à la tête du festival, comment envisagez-vous cette édition ?

Tiago Rodrigues : Mon amour du Festival, malgré les quelques tempêtes qu’on traverse toujours pour construire une telle aventure, reste intact. L’immense attente qu’il suscite, les débats passionnés qu’il provoque, la cohésion et les équilibres qu’il imagine, tout cela me réjouit énormément. Certains seront déçus, mais nous nous efforçons d’une année à l’autre de ne pas décevoir les mêmes ! Diriger le festival d’Avignon, c’est interpréter de nos jours une partition historique de démocratisation de l’accès à la création, c’est constituer une programmation internationale tout en soutenant la création française. Se mêlent les grands artistes de notre temps et ceux que l’on découvre, qui, peut-être, deviendront à leur tour reconnus. Plus de la moitié des artistes viennent au festival pour la première fois. L’invitation d’une langue est une façon d’interpréter l’ouverture du festival à l’international, qui révèle le pouvoir des mots dans leur manière de lire et d’habiter le monde. Après l’anglais et l’espagnol, la langue arabe se déploie à travers une dizaine de spectacles, implique aussi nombre d’artistes visuels, penseurs, poètes, musiciens… Chorégraphe majeure de notre temps, l’artiste complice Marlene Monteiro Freitas ouvre le festival avec NÔT, création inspirée par Les Mille et Une Nuits. Je suis heureux de la venue de deux habitués du festival, Thomas Ostermeier et Christoph Marthaler, et du retour dans la Cour d’honneur du Soulier de satin dans la mise en scène d’Éric Ruf, quelque quarante ans après la mythique version d’Antoine Vitez. Il faut dire aussi que le Festival appartient à Avignon et à ce territoire. La création de Bouchra Ouizguen a ainsi mobilisé des dizaines d’amateurs. La Lettre, pièce commune créée par Milo Rau, sera visible en itinérance. Quant au dispositif Première Fois, il accueille de manière privilégiée des milliers de jeunes au sein du Festival.

Vous visez à « rassembler pour interroger notre monde grâce à la puissance des mots, des corps et de l’imagination des spectateurs ». Comment rassembler ?

T.R. : Dans une société de plus en plus polarisée où chacun semble sommé de choisir son camp, il me paraît fondamental de présenter une grande diversité d’esthétiques. Je pense qu’il est essentiel aujourd’hui de pouvoir appréhender une pluralité de visions du monde, de manières d’envisager la vie. En éprouvant plaisir, émotion, réflexion, parfois même un certain trouble. Nous avons urgemment besoin de dialogue. C’est la beauté de la démocratie, c’est aussi la beauté du Festival d’Avignon. L’enjeu est de se rassembler malgré les désaccords. Les difficultés de la vie, la complexité de la société, les drames et injustices peuvent constituer un terrain fertile pour la création, en faisant naître des gestes artistiques surprenants et innovants. La créativité des artistes s’élève comme réponse aux maux du monde. En cela le festival s’affirme comme laboratoire de création. Dans toute l’Europe, préserver les lieux qui prennent le risque d’accompagner les artistes, c’est aussi préserver l’idée d’une société ouverte et créative, d’un service public efficace. Si le budget du festival s’est maintenu, grâce au financement public, au mécénat et à nos recettes propres, le contexte de coupes budgétaires fragilise tout le secteur et les conditions de la création. C’est pourquoi au bénéfice des artistes comme du public il me paraît d’autant plus important de développer la coopération et le partage entre festivals et structures culturelles, comme par exemple cette année Les Hivernales – CDCN d’Avignon (Mohamed Toukabri) et Villeneuve en Scène (Clara Hédouin).

« Préserver les lieux qui prennent le risque d’accompagner les artistes, c’est aussi préserver l’idée d’une société ouverte et créative. »

Vous-même vouliez être avocat ou journaliste dans votre jeunesse. Peut-être que cette envie initiale se prolonge dans votre vision de l’art…

T.R. : Quelques chromosomes d’avocat comme de journaliste subsistent sans doute dans la façon dont je crée mes spectacles ! J’ai grandi dans des rédactions de journaux parce que mon père était journaliste. Mais ces deux métiers exigent une rigueur et une objectivité pour lesquelles je ne suis pas formaté. Il y a une liberté d’invention, de manipulation des mots, une envie de plonger dans la poésie qui m’ont fait abandonner ces options. Par le théâtre, j’aime mettre en jeu des questionnements plutôt que délivrer des réponses, j’aime explorer l’amplitude complexe de débats intimes ou publics.

La pièce que vous créez à l’occasion du festival se décale du réel et emmène très loin.  Quelle est cette distance qui donne son titre à la pièce ?

T.R. : Nous somme en 2077. La pièce explore la relation entre un père qui habite la planète Terre dans des conditions de plus en plus difficiles, et sa fille qui a décidé d’aller vivre sur Mars, parce qu’à ses yeux la Terre n’offre plus aucune raison de préserver l’espoir d’un avenir collectif possible. Séparés par une distance interplanétaire, tous deux s’engagent dans une conversation nourrie d’amour filial, mais aussi marquée par un conflit de générations. Leur duo confronte des visions du monde divergentes, entre acceptation de l’imperfection et exigence d’un nouveau cap. Dans l’immensité du cosmos, cette histoire de science-fiction intime est une miniature, une dystopie née de l’urgence écologique contemporaine. Au sein d’un dispositif en rotation, le texte a été pensé pour Adama Diop, un comédien que j’admire, et Alison Deschamps, jeune actrice issue de l’école du Théâtre National de Bretagne. Dans une tension entre mémoire et oubli de ce qu’était être humain sur la Terre, leur dialogue questionne la transmission, interroge la transformation de l’espèce humaine et de nos sociétés. Cette distance entre deux générations, qui peut advenir aussi dans un même appartement, est un thème très actuel qui appelle réparation…

 

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement

Festival d’Avignon
du lundi 7 juillet 2025 au samedi 26 juillet 2025


à 12h, les 9, 12, 16 et 19 à 12h et 17h30,

relâche le jeudi.

Tél : 04 90 14 14 14.

Durée : 1h45.

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