La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Élise Vigier et Marcial Di Fonzo Bo

Élise Vigier et Marcial Di Fonzo Bo - Critique sortie Théâtre
Photo : La metteuse en scène et comédienne Élise Vigier Le metteur en scène et comédien Marcial Di Fonzo Bo (Michel Labelle)

Publié le 10 septembre 2009

La décadence de la modernité

À La Estupidez (la Connerie) co-mise en scène par Élise Vigier et Marcial Di Fonzo Bo, succède La Paranoïa, pièce née aussi sous l’invention magnifique de l’Argentin Rafael Spregelburd. Les deux complices de la compagnie des Lucioles invitent le public à découvrir la drôlerie d’une science-fiction foisonnante, dévastatrice et déjantée.

« Spregelburd s’emploie à construire un projet sur une dizaine d’années, qui témoigne de la chute de notre modernité. »
 
 
Comment définir La Paranoïa que vous co-créez ?

Élise Vigier :
Nous voilà projetés dans cinq mille années. Un mathématicien, un astronaute, un auteur féminin à succès, une G4, sont convoqués à Piriapolis en Uruguay par un colonel. La mission consiste à inventer une fiction afin que des créatures extra-terrestres avides d’imaginaire soient rassasiées. Il en va de la vie de l’espèce et du salut de la Terre. Au Venezuela, il n’y a plus d’eau, plus de pétrole, plus rien. Seule peut se vendre la beauté des filles pauvres que des médecins d’une organisation mafieuse soumettent à la chirurgie esthétique. L’une d’entre elles, Brenda, tue ses manipulateurs par vengeance. Un policier déchu et anti-héros tente de résoudre l’affaire, enquêtant dans un monde de travestis et transsexuels.

Marcial Di Fonzo Bo :
À la manière de Bosch qui tentait de bâtir une morale avant la Renaissance, Spregelburd s’emploie à construire un projet sur une dizaine d’années, qui témoigne de la chute de notre modernité, une décadence due à l’absence de centre et de sens qui annihile l’idée de déviation ou de transgression. La Paranoïa, pièce complexe, foisonnante et drôle,correspond à la Gourmandise, l’un des sept péchés capitaux.

É. V. :
Le thème de la paranoïa évoque cet instant où on ne sait plus qui l’on est ni ce qu’on projette sur les autres. Tout naît de l’imagination d’une fillette qui a été violentée et défigurée.

M. F. B. :
La paranoïa a à voir avec le théâtre et ses interprètes. Des personnages imaginaires issus de l’enfance se développent sur la scène à partir d’une construction libre du langage. La gourmandise passe par ce plaisir verbal, le foisonnement des mots et des images à travers une quantité de personnages qui évoluent simultanément dans des réalités différentes. L’idée de la circularité chère à Borges s’impose dans la dramaturgie.

Comment le théâtre s’empare-t-il de la fiction ?

M. F. B. :
La fiction comme la réalité est un champ d’investigation et de confusion. Sa fabrication est largement explorée au théâtre. À partir du moment où un acteur invente une histoire sur le plateau, elle existe au même titre que la réalité. L’écriture de Spregelburd joue sur les points d’articulation du langage via la TV et le cinéma.

M. F. B. :
Spregelburd est un auteur qui écrit au pied du plateau. Son écriture est liée à la représentation, elle résulte d’un travail de plusieurs mois sur le plateau avec les acteurs – des répétitions, des assemblages, des renversements.

É. V. :
Un premier niveau d’intrigue prend appui sur la tele-novela argentine avec ses doublages de voix réalisés au Venezuela, d’où les « venezuelismes ». La fiction est lisible à des degrés divers dans une société menée par Internet et la mondialisation, où l’on ne sait quoi inventer, l’ultime « chose » qui sauverait de l’aliénation. Que représenter ou pas  sur la scène ? Les fictions sont des films tournés en direct ou préenregistrés dans des temps mêlés. Bruno Geslin et Romain Tanguy font les images. Yves Bernard signe le décor, une machine à projeter abstraite à la façon de 2001 l’Odyssée de l’espace. On quitte le vaudeville de La Estupidez pour une invention jouissive du langage et du jeu d’acteur. Frédérique Lolliée, Pierre Maillet, Clément Sibony, Rodolfo de Souza et Julien Villa nous accompagnent. Pour un humour revivifiant !

Propos recueillis par Véronique Hotte


La Paranoïa

De Rafael Spregelburd, mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo et d’Élise Vigier, du 1er au 24 octobre 2009 à 20h30, dimanche 15h30, salle Gémier, au Théâtre National de Chaillot 1 place du Trocadéro 75116 Paris Tél : 01 53 65 30 00 www.theatre-chaillot.fr

A propos de l'événement


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