La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Disgrâce

Disgrâce - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre national de la Colline
Disgrâce, dans la mise en scène de Jean-Pierre Baro. © Simon Gosselin

Théâtre National de la Colline / Théâtre de Sartrouville / de John Maxwell Coetzee / mes Jean-Pierre Baro

Publié le 22 novembre 2016 - N° 249

Jean-Pierre Baro adapte le roman emblématique de John Maxwell Coetzee, prix Nobel 2003, et met en scène avec acuité une implacable impasse, ancrée dans le contexte post-apartheid.

En adaptant et mettant en scène ce texte frappant, Jean Pierre Baro a réussi à faire écho à son intensité concise avec talent ; ce qui est à l’œuvre dans ce théâtre concret, ce sont les assauts d’une réalité pervertie, empoisonnée et abîmée par l’horreur de son héritage, c’est l’incapacité d’aimer et de s’extraire d’un enfermement qui réduit les relations humaines à une mascarade voire à une sorte de rituel plus effarant que ridicule. Si l’apartheid a cessé, rien n’est résolu, la réconciliation demeure impossible et la haine éclate, se conformant à un fatalisme de tragédie qui doit tout au réel. L’adaptation de Jean-Pierre Baro et Pascal Kirsch se concentre sur la vision – ou plutôt l’aveuglement ! – du personnage principal : le monde est vu à travers la subjectivité du regard de David Lurie, 52 ans, divorcé, professeur de littérature à l’Université du Cap. Il rend visite tous les jeudis à une prostituée, et entretient une relation sexuelle avec la jeune Mélanie, l’une de ses étudiantes. Dénoncé pour harcèlement, il quitte son poste et fuit chez sa fille, à la campagne, où désormais blancs et noirs partagent la terre. En mal de valeurs et de repères, il connaît une disgrâce en forme de descente aux enfers, qui culmine lors d’une nuit d’agression brutale. La scénographie de Mathieu Lorry Dupuy, aussi nette et efficace que l’écriture, permet le passage du monde du Cap à celui de la ferme lors d’un basculement très réussi.

Diktat des rapports de domination

Conjuguant finement incarnation du jeu, stylisation formelle plus ou moins symbolique, et adresses au public (figurant par instants les étudiants de David Lurie, évoquant Wordsworth ou Byron), la mise en scène déploie l’histoire avec fluidité et tisse diverses résonances entre les espaces et les situations, évoquant en cela l’implacable perversité des rapports de domination. La couleur de peau n’est jamais nommée dans le roman. En écho la mise en scène utilise la peinture, et souligne à quel point une différence aussi visible que minime a pu se révéler dévastatrice. Ironiquement, le langage même est parfois affaibli, comme laminé par le poids du passé. Très importants, les chiens traversent l’oeuvre : il y a ceux que Lucy recueille et dont elle prend soin avec Bev – vrais et invisibles -, et il y a les hommes mimant des postures de chiens, soumis à la bestialité de leur nature instinctive. On peut voir une certaine afféterie à représenter ainsi ces problématiques, on peut aussi y voir une façon de s’extraire de toute psychologie et de tout réalisme pour pointer vers des comportements universels. Les comédiens sont excellents : Pierre baux (David Lurie), Cécile Coustillac (Lucy), Pauline Parigot (Mélanie), Fargass Assandé (Petrus), Sophie Richelieu (Soraya)… D’une troublante force scénique, la mise en scène prolonge l’oeuvre avec amplitude, à la fois dans l’Histoire et hors d’elle, au cœur de mécanismes agissant au-delà de la raison.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Disgrâce
du jeudi 3 novembre 2016 au samedi 3 décembre 2016
Théâtre national de la Colline
15 Rue Malte Brun, 75020 Paris, France

Du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h, le dimanche à 16h. Tél. : 01 44 62 52 52. Théâtre de Sartrouville et des Yvelines, CDN, 78505 Sartrouville. Les 7 et 9 décembre 2016 à 20h30, le 8 à 9h30. Tél : 01 30 86 77 79. Egalement le 17 janvier 2017 à la Scène nationale de Lons-le-Saunier, le 2 février au Centre dramatique de Normandie-Vire, le 7 février à la Scène nationale de Niort, le 9 février au Théâtre de Saintes. Durée : 2h20

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