La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Declan Donnellan

Declan Donnellan - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 janvier 2010

“Le théâtre nous apprend l’empathie.”

Un long compagnonnage unit le metteur en scène Declan Donnellan et le théâtre des Gémeaux. Grâce à une théâtralité et une direction d’acteurs limpides, à la fois audacieuses et rigoureuses, cette complicité nourrie enchante le public depuis les spectacles russes, Shakespeare bien sûr et plus récemment Racine avec Andromaque. Retour à Shakespeare avec l’un des sommets de son art, Macbeth, où le crime du vieux roi par le fidèle Macbeth et son épouse laisse place aux affres de la culpabilité. “Ma pièce préférée” confie le metteur en scène.

Nous imaginons que nous effectuons un voyage en enfer. Non pas “Pourrais-je jamais faire une chose aussi terrible ?” mais “Que se passerait-il si j’avais fait une chose aussi terrible ?
 
Pourquoi avoir choisi de mettre en scène cette fameuse « pièce écossaise » ? Quelle est sa singularité parmi l’œuvre de Shakespeare ?

Declan Donnellan : Les deux dernières pièces que nous avons montées en anglais, Cymbeline et Troilus et Cressida, furent des expériences enrichissantes mais difficiles d’un point de vue dramaturgique. Dans Macbeth, le canevas de l’intrigue est si serré, si précisément ciselé que chaque verset compte. Nous sommes impatients de nous frotter à ces mots si humains, si brillants, jamais habiles ou superficiels. Une telle écriture est le summum de la réalisation humaine ! Macbeth est ma pièce préférée, c’est un stupéfiant concentré d’imagination.  

Certains critiques ont défini cette pièce comme “une démonstration du mal” (“a statement of evil”). Qu’en pensez-vous ?

D. D. : Je pense qu’un être humain ne peut pas être mauvais. Seul un acte commis par quelqu’un peut l’être. Cela fait une énorme différence. Les gens mauvais partagent une seule et unique caractéristique : c’est qu’ils sont quelqu’un d’autre. C’est très rassurant de penser que les gens mauvais existent, et cela permet de gagner de l’argent et de consolider le pouvoir. Les atrocités et les meurtres vendent beaucoup de journaux, confirmant qu’il existe effectivement d’autres gens, des gens mauvais commettant des actes mauvais. Rien de tel qu’un tueur en série pour susciter la frénésie et gagner de l’argent en vendant du réconfort. Nous nous écrions alors : “Nous ne pourrions jamais faire cela !” Dans Macbeth Shakespeare fait exactement le contraire de ce que fait un journal de mauvaise qualité. Il nous montre un mari et une femme qui font incontestablement quelque chose de mal. Mais ce n’est pas le plus important. Le plus important, c’est de ressentir les choses avec eux, plus tard, alors qu’ils apprennent, voient, réalisent et comprennent ce qu’ils ont fait. Même si les crimes sont horribles, nous éprouvons tout de même de la pitié pour le pécheur. Cela ne vend pas de journaux, mais c’est de l’art explosif.

 
 
De l’art qui explore au plus juste les affres de la culpabilité…
 
 
D. D. : Auparavant je pensais que Macbeth était une pièce sur un homme et une femme qui conspirent pour commettre un crime mais j’ai changé d’avis. Je pense maintenant que Macbeth met à jour un homme et une femme qui lentement réalisent que “ce qui est fait ne peut être défait”. Nous ne savons pas ce que cela signifie de poignarder à mort un vieil homme. Mais avec les Macbeth nous ressentons ce que cela signifierait de réaliser que nous l’avons assassiné. Nous prenons part à leur culpabilité, bien que temporairement et au théâtre, à l’intérieur d’un cadre collectif fondé sur l’illusion.
 
Comment prenons-nous part à leur culpabilité ?
 
D. D. : Nous prenons part à leur culpabilité parce que nous prenons part à leur horreur. Et cela advient par la qualité de leur imagination. Il est difficile de ressentir ce que quelqu’un d’autre ressent, mais c’est peut-être la chose la plus importante que l’on puisse tenter de réaliser. Et nous ne pouvons la réaliser qu’à travers notre imagination. Shakespeare nous aide à imaginer par le prisme de l’imagination des Macbeth. Nous imaginons que nous effectuons un voyage en enfer. Non pas “Pourrais-je jamais faire une chose aussi terrible ?” mais “Que se passerait-il si j’avais fait une chose aussi terrible ? “ C’est pourquoi dans le célèbre verset de Lady Macbeth : “Qui aurait pensé que le vieil homme avait en lui autant de sang ?” , la partie la plus effarante se trouve non pas dans la seconde moitié mais bien dans les trois premiers mots : “Qui aurait pensé…?” C’est là que se tapit la véritable horreur.
 
L’une des fonctions du théâtre est-elle donc de connaître la vie des autres… et de soi ?
 
 
D.D. : Je pense que nous allons au théâtre pour éprouver une expérience émotionnelle et éprouver de l’empathie pour les autres, pour avoir une idée de ce que ça pourrait être d’être quelqu’un d’autre. Le théâtre nous apprend l’empathie.
 
Propos recueillis et traduits par Agnès Santi


Macbeth de William Shakespeare, mise en scène Declan Donnellan, du 3 au 21 février 2010 à la Scène Nationale des Gémeaux, 49 avenue Georges Clemenceau, 92330 Sceaux. Tél : 01 46 61 36 67. Site internet : www.lesgemeaux.com

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