Le Misanthrope
Nicolas Liautard épure la comédie de Molière [...]
Olivier Mellor et les siens créent un Cyrano divertissant et populaire, autour de Jean-Jacques Rouvière qui interprète avec panache le fougueux Gascon.
C’est une équipe emmenée par Olivier Mellor d’environ quarante personnes, dont quelque vingt-cinq comédiens et musiciens, qui fait vivre ce Cyrano comme une joyeuse célébration du plaisir de jouer, une ode festive à la machinerie du théâtre. Une scénographie comme un chantier en circulation habité par les acteurs, des costumes mélangeant allègrement les époques et les styles, un jeu débridé et décomplexé où le collectif s’affirme, sans oublier la musique et les chants live – maloya réunionnais ou lieder de Gustav Mahler – : tout concourt à faire du plateau un terrain de jeu foisonnant et inventif, laissant libre cours à de multiples audaces et décalages. Le spectacle créé la saison dernière à la Comédie de Picardie s’appuie sur le comédien Jean-Jacques Rouvière, qui a le talent et le panache nécessaires pour interpréter le fougueux Gascon, fort et fragile à la fois, excessif, déraisonnable, admirable en bravoure, inégalable en éloquence et cependant condamné à la solitude. Il demeure le prisonnier consentant de son amour secret, qui le contraint à un mensonge qui subjugue le spectateur. En sublimant Cyrano, inspiré par un personnage réel, Edmond Rostand célèbre aussi l’insoumission à la française.
Virevoltante équipe
Olivier Mellor a mis en place des décalages et effets qui visent à capter l’attention et à toucher un large public, certains y verront une dose de grandiloquence et de kitch, d’autres y verront une envie de toucher les spectateurs avec sincérité et un sens du collectif affirmé. Ainsi les cadets apparaissent comme une vaillante et virevoltante équipe en survêtement, tandis que le Comte De Guiche est en costume d’époque ; et le carrosse de Roxanne, petite voiture verte emplie de victuailles, fait une entrée pétaradante au siège d’Arras. Rompant avec les règles classiques, cette grande comédie héroïque dénuée d’unité de temps ou de lieu mêle des registres très divers – de la farce au tragique -, et la troupe fait théâtre de cette diversité et ose le mélange des genres, n’hésitant pas à ajouter au verbe somptueux et hautement théâtral divers gags, à appuyer les effets et à créer des intermèdes joyeux. L’acte V plus intimiste et plus sobre se déroule dans le couvent où Roxane s’est retirée après la mort de Christian, et prouve qu’Olivier Mellor et les siens savent convoquer l’émotion et faire naître la profonde mélancolie que cette fin bouleversante inspire. Machine à jouer résolument populaire, fantastique matière à étudier qui ravira les scolaires, la pièce flamboyante traverse le temps sans perdre une once de son éclat.
Agnès Santi
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