Les Fureurs d’Ostrowsky
Gilles Ostrowsky et Jean-Michel Rabeux [...]
Nicolas Bouchaud interprète l’adaptation du texte de John Berger, réalisée avec Véronique Timsit et Eric Didry, qui le met en scène. Le portrait du médecin permet de questionner le rôle de l’acteur.
« Un métier idéal est de ces livres qu’on partage comme en contrebande, dans le cercle intime de la transmission amicale. C’est un livre hybride, dont la parole n’est pas unifiée, et qui restitue le flux de la vie en montrant comment l’expérience, aussi petite soit-elle, peut être extraordinaire. Berger a ce talent d’attraper quelque chose du vivant qui échappe à l’œil commun et de se faire voyant par des détails : cette manière donne toute sa valeur à son écriture. Le travail d’adaptation s’est fait à partir du plateau, car il met en jeu les corps, le rapport du médecin aux patients, mais aussi celui de l’acteur au spectateur, et, plus généralement, de nous-mêmes aux autres. Je travaille avec la même équipe que pour La Loi du marcheur, et même si je suis seul au plateau, il s’agit d’un travail d’ensemble visant à trouver l’espace poétique pour faire entendre ce texte. Comme pour ce précédent spectacle autour de Daney, celui-ci est le portrait d’un homme au travail, le médecin John Sassall.
L’imagination au travail
John Sassall se consume dans sa vocation qu’il vit comme une mission parfois difficile à mener à bien. Il traverse des crises graves, du fait de sa grande perméabilité à la souffrance. Berger part de la pratique concrète d’un médecin de campagne pour poser la question de la manière dont on traite les gens et dont ils se traitent eux-mêmes. L’imagination est indispensable à Sassal pour soigner ses patients, car la seule connaissance médicale soulage mais ne soigne pas. Pour cela, comme le dit Berger, il « devient » chaque patient, se projette en lui. En ce sens, ce spectacle pourrait être considéré comme une espèce de consultation poétique puisque le même processus imaginatif y est à l’œuvre. En médecine comme en art, l’imagination est un outil fondamental : c’est elle qu’on a envie d’activer chez le spectateur et qui permet de le faire voyager. L’acteur peut faire du bien aux gens comme les gens lui font du bien. Plus qu’à faire entendre un texte, on cherche à développer au plateau ses ramifications et les possibilités qu’il offre à l’imaginaire. Berger fait le portrait d’un médecin, et par ce biais, trouve comment élucider son métier d’écrivain : cela nous permet de questionner à notre tour le travail de l’acteur. Sassall comprend son métier quand il transforme sa pratique en une véritable rencontre avec les gens : c’est cet espèce de pont poétique que doit parvenir à construire l’acteur. »
Propos recueillis par Catherine Robert
Gilles Ostrowsky et Jean-Michel Rabeux [...]