Émilie Rousset présente « Affaires familiales » : une parole foisonnante, une théâtralité minimaliste
Après Reconstitution, le Procès de Bobigny, [...]
La nouvelle création de la metteuse en scène et directrice de La Comédie de Reims, Chloé Dabert, est une totale réussite. La pièce phare de l’un des plus fameux dramaturges allemands de l’époque des Lumières, magistralement mise en scène et jouée, est éclairée d’un jour nouveau en toute majesté. Un pur régal.
« Je dissèque depuis plusieurs années le rapport au pouvoir au sein de la famille, du couple, ou d’une communauté, avec une obsession probable sur la place des femmes dans tout ça », confesse Chloé Dabert. Aussi Marie Stuart lui offrait-t-elle un terrain privilégié, qui met en scène cet affrontement historique entre deux personnalités féminines de premier ordre, femmes de pouvoir et non moins femmes prises dans les filets de la société de leur temps : la Reine d’Écosse, qui donne son titre à la pièce, et la Reine d’Angleterre, Elisabeth Ière, figure assassine de sa rivale. Le sujet a inspiré plus d’un auteur dramatique. Mais on s’accorde à reconnaître à la pièce en cinq actes de Friedrich Von Schiller, celle dont Madame de Staël dira qu’« elle est la mieux construite de toutes les tragédies allemandes », une force singulière qui tient, notamment, à la manière dont le dramaturge romantique allemand s’émancipe de l’intrigue historico-politique, dont la fin tragique est connue pour mettre l’accent sur la mise à la torture de ces deux héroïnes. Et il y a de quoi s’arracher les cheveux. De cette force singulière, Chloé Dabert s’empare avec brio. Elle met en scène le tragique de ces destinées féminines dans l’intimité de leur être, figures emblématiques des dilemmes de la femme sans cesse renvoyée à sa condition. Elle expose la rivalité érotique qui est le profond et secret ressort dramatique de cette amère tragédie romantique.
Une esthétique et un jeu de grande envergure
Elle a su également formidablement s’entourer. Elle prend d’abord appui sur une traduction, celle de Sylvain Fort, tendue par la volonté de faire entendre le texte dans sa densité et sa variété stylistique mais aussi portée par une intention : préserver cette liberté de tonalité et d’invention dans l’incarnation voulue par l’auteur. De cette ouverture, le jeu profite à plein porté par des comédiens d’envergure. À commencer par Océane Mozas (Elisabeth Ière) et Bénédicte Cerutti (Marie Stuart) dont on dirait qu’elles sont faites pour ces rôles de belles âmes tourmentées, auxquelles leurs personnalités respectives donnent un relief unique. Dans cette veine, s’inscrivent tous les acteurs de cette pièce chorale. Au casting sans faute, il faut ajouter l’esthétisme de la scénographie signée par Pierre Nouvel qui a, notamment, imaginé cette grande cage de verre aux vitres mobiles resserrant les limites du plateau pour faire tableau. On ne voudrait pas trop en dévoiler tant ces inventions scénographiques participent à émouvoir par leurs effets d’une simplicité et d’une efficacité troublantes, tant elles parviennent à signifier visuellement que la fin renoue avec le commencement, que la boucle est bouclée, que les destins de Marie et d’Elisabeth, sont, en creux, les figures d’un même emprisonnement. A cette esthétique scénique sublimée par Sébastien Michaud à la création lumières, répond celle des costumes, historiquement fidèles et pourtant subtilement décalés par Marie La Rocca. Deux traits qui sont aussi ceux de la bande originale sonore signée par Lucas Lelièvre. Aussi faut-il lever toutes les préventions quant à la durée du spectacle. Le temps ne s’écoule pas que le rythme allié à la beauté font fondre.
Marie-Emmanuelle Dulous de Méritens
Du mardi 7 au jeudi 9 octobre 2025 à 19h30. Dès 15 ans. Tél :03 26 48 49 10. Durée : 3h45 entracte compris.
Et aussi : Du 15 au 16 octobre 2025 au Théâtre de Cornouaille, Quimper. Du 14 au 29 janvier 2026 au TGP -Centre Dramatique National de Saint-Denis. Du 3 au 7 février 2026 au Théâtre du Nord -CDN Lille Tourcoing Hauts-de-France. Du 11 au 13 février 2026 à la Comédie de Béthune- CDN Nord-Pas-de-Calais. Du 25 février au 4 mars 2026 au Théâtre National Populaire de Villeurbanne-Lyon. Les 11 et 12 mars 2026 à la Comédie de Valence, CDN de Drôme-Ardèche. Du 24 au 27 mars 2026 au Théâtre National de Bretagne -Rennes. Les 8 et 9 avril 2026 au Théâtre à Pau. Du 14 au 17 avril 2026 au Théâtre de la Cité – CDN Toulouse Occitanie.
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