La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Charlotte Delbo, saisissant témoignage sur la déportation

Charlotte Delbo, saisissant témoignage sur la déportation - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de l’Epée de Bois
Mesure de nos jours fait entendre des extraits du récit de Charlotte Delbo. Avec Sophie Amaury, Sophie Caritté, Marie-Hélène Garnier, Claude-Alice Peyrottes, Maryse Ravéra et Maud Rayer.

Epée de Bois / Mesure de nos jours, textes extraits de l’ouvrage de Charlotte Delbo / mes Claude-Alice Peyrottes

Publié le 8 mars 2015 - N° 230

Aucun de nous ne reviendra, Une connaissance inutile, Mesure de nos jours : trois volets composent Auschwitz et après* de Charlotte Delbo (1913-1985), résistante communiste et témoin par l’écriture de l’expérience de la déportation. Claude-Alice Peyrottes reprend sa mise en scène de Mesure de nos jours, initialement créée en 2013 au Théâtre des 2 Rives à Rouen. 

Qu’est-ce qui fonde la volonté d’écrire chez Charlotte Delbo ?

 Claude-Alice Peyrottes : Elle avait probablement une vocation d’écriture ; en 1974, elle confia à Jacques Chancel qu’elle écrivait déjà avant les camps, et que ces écrits disparurent lorsqu’elle fut arrêtée avec son mari par les brigades spéciales de la police française, en mars 1942. Son mari fut fusillé, elle fut déportée à Auschwitz dans le convoi du 24 janvier 1943. Pendant la déportation, elle et ses camarades luttent à chaque instant pour survivre et revenir, pour témoigner et dire ce que c’était. La solidarité dans le groupe a beaucoup compté, à travers des gestes et des paroles de soutien, et 48 revinrent parmi 230 déportées politiques. J’ai réalisé en 2001 un film de témoignages sur onze survivantes de ce convoi, L’Histoire du convoi du 24 janvier 1943 Auschwitz-Birkenau. Avec lucidité, Charlotte Delbo décrit la réalité du camp, pour être entendue, elle décrit aussi les degrés dans l’horreur et le traitement réservé aux juifs expliquant l’effarant taux de mortalité des convois juifs. A Ravensbrück, elle confie à une camarade connaître le titre du livre qu’elle écrira : Aucun de nous ne reviendra, un vers d’Apollinaire extrait du poème La Maison des morts. Ecrire est lié à l’idée d’une promesse faite à ses camarades et à tous ceux qui ne sont pas revenus.

« Ecrire est lié à l’idée d’une promesse faite à ses camarades et à tous ceux qui ne sont pas revenus. »

Qu’évoque ce troisième volet de Auschwitz et après ?

C.-A. P. : Il évoque le retour à la réalité après Auschwitz, cette expérience du vide où les mortes et les vivantes se confondent, la difficile confrontation au réel. Dans le premier chapitre retraçant le voyage du retour, elle-même et ses camarades sont décrites comme des spectres qui glissent dans la solitude, qui s’éloignent et se perdent. Le texte est une prise de parole de camarades de la déportation, qui racontent leur retour et se racontent, évoquant leur quotidien et leurs cauchemars. C’est un texte très fort et très beau. L’œuvre recèle aussi le témoignage d’Ida Grinspan, déportée en tant que juive à l’âge de 14 ans, qu’elle a rencontrée dans une maison de repos en Suisse et qui est devenue son amie. A partir des témoignages, Mesure de nos jours est une reconvocation de ses camarades, pour les rendre présentes.

Comment avez-vous transposé le texte à la scène ?

 C.-A. P. :  Nous avons voulu créer un spectacle pour tous, évidemment sans changer le texte mais en effectuant quelques coupes. L’écrivain est là et demeure à part pendant tout le spectacle, avec les voix et les personnes qui s’imposent à elle, qui deviennent présentes, qui viennent à elle et viennent à nous. Pour installer un climat d’écoute, le spectacle commence dans le noir par sa parole à travers une voix off lisant le texte inaugural sur le voyage du retour, puis arrivent sur la scène dans une lumière opaque ces femmes, comme des ombres. Les comédiennes sont ces femmes que Charlotte Delbo est en train de coucher sur le papier. La seule scène dialoguée est une scène géniale assez drôle où cinq survivantes se retrouvent comme des sœurs à l’enterrement de l’une d’entre elles. Il s’agit de trouver la justesse de ton et non d’interpréter un personnage, et les comédiennes mettent en œuvre plusieurs adresses, à Charlotte Delbo, au public, et entre elles. Cette écriture est une somme de paroles faites pour être entendue, et écoutée. Pour ne pas perdre la mémoire.

Agnès Santi

*Editions de Minuit

A propos de l'événement

Mesure de nos jours
du jeudi 5 mars 2015 au dimanche 22 mars 2015
Théâtre de l’Epée de Bois
Route du Champ de Manoeuvres, 75012 Paris, France

jeudi et vendredi à 20h30, samedi à 16h et 20h, dimanche à 16h. Tél : 01 48 08 39 74.

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