Elisabeth Chailloux
Après Corneille (L’Illusion comique) et J.M. [...]
Première création à la tête de la comédie de Saint-Etienne pour Arnaud Meunier, qui renoue à cette occasion avec un théâtre aux teintes politiques. Chapitres de la chute déroule en effet la saga de la famille Lehman, fondatrice de la fameuse banque Lehman Brothers dont la faillite provoqua la crise financière de 2008. Instructif.
Les rouages de l’économie paraissent souvent si complexes que le quidam renonce vite à les comprendre, et à agir dessus. Ainsi en va-t-il de la finance avec ses subprimes, ses swaps et autres agences de notation dont les mécanismes semblent pouvoir indéfiniment nous échapper. Un des mérites de Chapitres de la chute est de replacer à hauteur d’homme l’histoire de la famille Lehman, qui émigra d’Allemagne aux Etats-Unis au 19ème siècle et, au gré des vicissitudes du destin, bâtit une puissance financière dont l’effondrement entraîna, il y a cinq ans, toute l’économie mondiale dans la tourmente. Emigré juif allemand arrivant de Bavière à New-York en 1844, Henry Lehman commença par fonder à Montgomery, Alabama, un magasin de « tissus et confection » qui se transforma avec ses frères et au fil des générations en machine à succès, jusqu’à la fin que l’on connaît.
Entre personnages et conteurs
Chapitres de la chute invite donc à suivre les trois épisodes de la saga de la famille Lehman, et en filigrane, deux siècles de capitalisme à la sauce américaine, dans ces temps révolus du développement industriel et financier à tout va. Six comédiens prennent en charge ce récit concocté par Stefano Massini, jeune auteur italien, qui à la manière d’un Paravidino les tient à la frontière de la narration et du jeu, entre personnages et conteurs, entre hier et aujourd’hui, dans une scénographie aux teintes grisâtres qui contribue à instaurer cette atmosphère de rêve/cauchemar éveillé. Entrées et sorties tout en douceur, glissements temporels et transitions narratives bien huilées, tout coule de source dans cette histoire, tout semble se faire naturellement, loin des combats et calculs des thrillers financiers. L’essor d’une famille travailleuse que portent les hasards, les rencontres, qui saisit les opportunités, bien plus qu’un univers impitoyable à la Dallas, où se combineraient trahisons et cupidité. A suivre ce long fleuve tranquille s’installe toutefois une forme de monotonie qui étire le temps, et surtout, le sentiment qu’on survole, qu’on se tient à l’extérieur, qu’on évite les coulisses plus nauséabondes de la réalité. La volonté, ici, n’est pas de dénoncer, mais de montrer combien le destin du monde s’est suspendu à l’histoire d’une famille normale, avec ses faiblesses, ses rituels, et toute son humanité. Ainsi la finance redevient-elle plus humaine, le capitalisme moins compliqué, et notre destin peut-être pas si impossible à contrôler.
Eric Demey
Après Corneille (L’Illusion comique) et J.M. [...]