La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

By heart

By heart - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Bastille
C’est avec le cœur que Tiago Rodrigues partage le pouvoir des mots. Crédit photo : Magda Bizarro

Publié le 21 décembre 2015 - N° 239

Tiago Rodrigues, directeur du Théâtre national de Lisbonne, fait vibrer la littérature au creux de nos cœurs. Un moment d’une rare intensité.

« Apprendre par cœur, c’est entrer dans l’œuvre même : « tu vas vivre en moi et je vais vivre avec toi.«  » résume joliment le philosophe humaniste George Steiner. « Ce que nous apprenons par cœur, personne ne peut nous l’enlever. Ni la censure, ni la police politique, ni le kitsch qui nous entoure. » ajoute-t-il. Sentir au jour le jour le souffle des mots courir dans sa chair, retrouver en soi les plaisirs des sons et du sens, les sentir changer au gré des années tout en se sentant changer, laisser les voix bruisser, les images imprimer toute leur force d’imaginaire en son for intérieur… C’est cette expérience intime et singulière, familière aux acteurs, que nous invite à éprouver et à partager Tiago Rodrigues avec By heart. La naissance du projet vaut qu’on la raconte tant elle dit la démarche de celui qui le porte. Un jour, sa grand-mère lui demanda de reprendre tous les livres qu’il lui avait prêtés depuis des années. Cuisinière dans un petit village, elle avait quitté l’école très jeune mais avait toujours aimé le savoir et la littérature. Maintenant âgée de 94 ans, elle perdait la vue et cherchait un texte dont elle pourrait apprendre par cœur des extraits avant de devenir aveugle, pour continuer sa conversation secrète avec les faiseurs d’histoires et les inventeurs de mondes. Mais qu’est-ce qu’apprendre par cœur, c’est-à-dire avec le cœur ? Quel est ce lien si particulier qui nous accorde à certaines œuvres, quelle est la puissance des mots quand ils sont gravés pour toujours dans la mémoire ?

« Décorer » son être intérieur

Tiago Rodrigues s’interroge avec nous, évoque ses passions littéraires, cite George Steiner justement : « Nous sommes ce dont nous nous souvenons ». Il parle aussi de François Truffaut, de Ray Bradbury, de Boris Pasternak, de ses démêlés avec le pouvoir soviétique et du poème de Shakespeare qui le sauva de la déportation. Le Sonnet 30. « Quand je fais comparoir les images passées, au tribunal muet des songes recueillis, je soupire aux défauts des défuntes pensées, pleurant de nouveaux pleurs les jours trop tôt cueillis »… Le metteur en scène convie alors sur scène dix spectateurs volontaires qui, sous nos yeux, vont se livrer à cet exercice tiré du sommeil des souvenirs d’enfance : réciter le poème. Peu à peu réalité, théâtre, Histoire, fiction, références ou citations tissent une réflexion sur la beauté et la consolation que peut apporter la littérature, sur la liberté et la possibilité de résistance contre les autodafés totalitaires lorsque les livres sont à jamais inscrits dans les esprits. Compagnon de route de TG Stan, directeur du Théâtre national de Lisbonne, Tiago Rodrigues mène le jeu avec naturel, dans un geste de partage avec le public, filant une dramaturgie de grande finesse. En portugais, « decorar » signifie « apprendre par cœur » et aussi « décorer ». By heart embellit notre être intérieur pour longtemps.

Gwénola David

A propos de l'événement

By heart
du lundi 18 janvier 2016 au jeudi 28 janvier 2016
Théâtre de la Bastille
76 Rue de la Roquette, 75011 Paris, France

à 19h30, sauf dimanche à 17h, relâche le 22 janvier. Tél.: 01 43 57 42 14. Durée : 1h15. Spectacle vu en novembre 2014.

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