L’Amant de Harold Pinter, mis en scène de Margaret Clarac et Alexandre Cattez
Margaret Clarac et Alexandre Cattez [...]
Seul en scène, le comédien René Loyon porte avec force et sobriété sa propre adaptation d’Histoire d’un Allemand – Souvenirs 1914 – 1933 du journaliste Sebastian Haffner. Un « lanceur d’alerte », qui aborde les débuts du régime hitlérien.
Avant de connaître un grand succès dans tous les pays de langue allemande, Histoire d’un Allemand – Souvenirs 1914 – 1933 de Sebastian Haffner (1907-1999) suscite des réactions contrastées. Notamment parmi les historiens, chez qui le livre non publié du vivant de l’auteur, et découvert par ses enfants en 2000 dans un grenier, fait débat. Certains y voient d’emblée un témoignage précieux de la montée du nazisme ; d’autres crient à la supercherie. Comment, avant le début de la Seconde Guerre Mondiale, alors que la réaction générale est le déni ou la stupeur, un jeune homme – il a 32 ans lorsqu’à la demande d’un éditeur, il écrit ce texte à Londres où il vit en exil depuis peu – peut-il avoir tout compris, tout vu venir ? La préfacière du livre nous apprend qu’il a fallu une analyse scientifique du manuscrit original pour faire taire les sceptiques. Dans Berlin 33, son adaptation pour la scène de la seconde partie du livre, René Loyon n’évoque pas cette histoire qui dit beaucoup de la nature du texte. De son urgence, de sa grande intelligence. Transformé en monologue avec l’aide de Laurence Campet et d’Olivia Kryger, le témoignage qu’il porte seul en scène résonne par lui-même « avec ce que nous vivons aujourd’hui dans nombre de pays menacés par la montée de l’extrême droite », dit le comédien qui est sur les planches depuis 1969. Et qui incarne alors un Sebastian Haffner âgé, revenant sur ses mots d’hier. Et y retrouvant le même effroi.
Des mots pour le pire
« C’est l’histoire d’un duel entre deux adversaires très inégaux : un État extrêmement puissant, fort, impitoyable – et un petit individu anonyme. L’État, c’est le Reich allemand ; l’individu, c’est moi ». Dès ces premiers mots prononcés près de la table qui constitue l’unique élément de décor du spectacle, et dont il ne s’éloignera presque pas, René Loyon donne le ton humble, élégant de sa performance. Le travail de mémoire de son personnage le fait remonter au 14 septembre 1930, au moment des « élections législatives qui ont propulsé à la deuxième place un petit parti ridicule : les nazis sont passés de douze sièges à cent sept ». Avant de sauter directement à l’année 1933, où Sebastian Haffner se décrit comme « un jeune homme de vingt-cinq ans, bien nourri, bien habillé, bien élevé, aimable, correct ». Comme un garçon vivant, amoureux – d’une femme juive –, conscient de ce qui l’entoure mais aussi prompt à se laisser entraîner par la situation. Par sa fragilité, dont le comédien sait rendre compte avec sobriété, sans ajouter une once de tragique, de pathos, au lourd morceau d’Histoire qu’il a décidé de prendre en charge. En faisant porter l’écoute sur la beauté des mots d’Histoire d’un Allemand, sur ses phrases à fleur de peau, de chair fébrile d’espoir malgré le pire qui se trame. En s’emparant du texte d’un « lanceur d’alerte » d’hier, René Loyon sonne l’alarme pour aujourd’hui.
Anaïs Heluin
les mercredis, vendredis et dimanches à 19h, relâche les 8 et 25 décembre. Tel : 01 40 05 06 96. www.reineblanche.com
Margaret Clarac et Alexandre Cattez [...]