Chacal, la fable de l’exil
Eclairé par les travaux de l’anthropologue [...]
Avec la complicité de Blandine Masson et Marc Paquien, Anouk Grinberg s’empare de l’ultime chapitre d’Ulysse de Joyce, le fulgurant “ torrent de pensées “ de Molly Bloom.
« C’est comme une saisie à l’état brut d’un torrent de pensées, avant qu’elles ne s’organisent en pensées. »
En quoi a consisté l’adaptation du texte par Jean Torrent ?
Anouk Grinberg : Le texte original était plus long, plus cru aussi. Il a fallu élaguer tout en gardant la vitalité de cette langue, le flux d’images, d’histoires, d’associations qui font la beauté de ce texte, sa truculence.
Quelle femme est Molly Bloom selon vous ? La considérez-vous comme un grand personnage féminin ?
A. G. : Elle est givrée de vie, jusqu’à l’absurde. C’est une reine parce qu’elle se fiche de ce qu’on pense d’elle, elle est sur-naturelle, elle est fûtée mais pas intello, parfois on a l’impression qu’elle a un pois chiche dans la tête et parfois on se dit qu’elle a tout vu. Elle est cocasse, à force de ne pas se surveiller. Elle est la vie, et l’amour de la vie.
Comment avez-vous abordé ce texte, et sa transposition à la scène ?
A. G. : Joyce s’est approché de très près de ce qu’est le fonctionnement – et le dysfonctionnement – du cerveau d’une femme. C’est comme une saisie à l’état brut d’un torrent de pensées, avant qu’elles ne s’organisent en pensées. C’est encore plus vrai avec Molly, qui est assez peu policée, pour qui c’est tout à fait naturel d’être comme elle est, cash. Elle dit tout dans le désordre. Ça ne la gêne pas. Mais ce qui est compliqué, c’est qu’en vérité elle ne dit rien à personne, c’est dedans que ça se passe, et c’est pour ça que c’est si libre. Alors il faut jouer « comme une bestiole » qui ne sait pas qu’on la regarde, ne pas être « en représentation ».
Comment passer d’une pensée en mouvement, immédiate, à une parole incarnée ?
A. G. : Il faut faire et refaire le trajet du torrent, prendre son énergie, et puis devenir le torrent, seconde après seconde, zigzag après zigzag, sans plus penser, naïvement. On a fait ça ensemble, avec Marc Paquien et Blandine Masson, dans une vraie complicité. Ils ont des talents différents. Marc était plus sur le jeu, il est très fin, ludique, direct, tout proche. Blandine travaillait plus le texte avec moi, toute proche aussi. C’était plein de gentillesse. Comme rarement.
Propos recueillis par Agnès Santi
Eclairé par les travaux de l’anthropologue [...]