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"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Al Atlal – Chant pour ma mère, d’après le poème d’Ibrahim Nagi, chanté par Oum Kalsoum / Conception Norah Krief

Al Atlal – Chant pour ma mère, d’après le poème d’Ibrahim Nagi, chanté par Oum Kalsoum / Conception Norah Krief - Critique sortie Théâtre Bobigny MC93 - Maison de la culture de Seine-Saint-Denis Bobigny
© Jean-Louis Fernandez Norah Krief dans Al Atlal

d’après le poème d’Ibrahim Nagi, chanté par Oum Kalsoum / Conception Norah Krief

Publié le 19 août 2021 - N° 291

Pour convoquer la mémoire de sa mère disparue, la comédienne Norah Krief fait appel à l’icône de la chanson égyptienne Oum Kalsoum. Elle renoue ainsi avec la langue arabe, à laquelle elle mêle ses souvenirs en français. Un subtil et émouvant dialogue que seule la scène permet.

Pour de nombreux auteurs, le café est une muse. Il est le breuvage qui accompagne et nourrit la solitude, le nectar de la mémoire et de l’imaginaire. « Charmé de ton parfum, c’est moi seul qui dans l’onde infuse à ton foyer ta poussière féconde », écrivait par exemple à son sujet le poète Jacques Delille (1738-1813). Tandis que pour Mahmoud Darwich (1941-2008), il est « ce silence originel, matinal, circonspect, solitaire où tu tiens, tout seul, avec cette eau que tu choisis, paresseusement et coupé du monde, dans une paix retrouvée avec les êtres et les choses ». Si la mère de Norah Krief avait écrit, peut-être aurait-elle ajouté ses mots à tous ceux qui chantent déjà les vertus de la boisson. Faute de quoi la comédienne ne peut savoir ce que pensait cette femme juive tunisienne qu’elle revoit « concasser au mortier son café, le moudre fin comme de la farine (…), le mettre dans la zaouza sur le feu du kanoun, ajouter une goutte de fleur d’oranger », dit-elle dès les premières minutes de son spectacle Al Atlal – Chant pour ma mère. Elle ne peut qu’imaginer de quoi rêvait cette mère, bercée après son rituel de café « par les chants arabes qui s’échappaient des fenêtres grandes ouvertes du pavillon », en France. Elle le fait en s’appuyant sur un chant qui résonnait souvent entre les murs de sa maison d’enfance, et auquel elle ne comprenait alors rien : Al Atlal (« Les Ruines », en arabe), poème d’Ibrahim Nagi interprété par la grande Oum Kalsoum. Dans les silences d’hier, l’artiste d’aujourd’hui se réapproprie ainsi une mémoire, une langue.

De la diva à la mère

Le monologue intime, dans Al Atlal – Chant pour ma mère, laisse ainsi régulièrement place à la musique, interprétée au chant par Norah Krief, accompagnée d’un trio de musiciens muliinstrumentistes : Mohanad Aljaramani, percussionniste et oudiste formé à la musique orientale et classique au conservatoire de Damas, le producteur et musicien Lucien Zerrad, et Frédéric Fresson, pianiste et compositeur avec qui elle a co-fondé en 2001 la compagnie Sonnets. Découpé en plusieurs parties, le long poème d’amour chanté jadis par la diva est pour Norah Krief un support non seulement pour un travail de mémoire personnel, mais aussi collectif. En évoquant en français les habitudes, les gestes que sa mère n’a pas réussi à lui transmettre – elle arrive en France avec ses parents à l’âge de quelques mois –, c’est toute une génération de femmes qu’elle convoque. Celle des immigrées des années 60-70, qui en plus d’avoir perdu leur pays ont souvent été éloignées de leurs enfants dont la langue, dont la culture n’étaient pas la leur. Entre l’arabe qu’elle se réapproprie pour l’occasion et le français, entre chant et récit, Norah Krief multiplie avec une grande délicatesse les allers-retours entre mère et diva. Avec sa voix délicate et profonde, avec son élégance et ses musiciens virtuoses, Norah Krief fait de son arabe appris sur le tard un trésor. Le fruit humble et délicat d’un désir de réparation qui ne peut se réaliser que sur un plateau de théâtre, où vivants et disparus peuvent reprendre leurs dialogues interrompus.

Anaïs Heluin

A propos de l'événement

Al Atlal – Chant pour ma mère, d’après le poème d’Ibrahim Nagi, chanté par Oum Kalsoum / Conception Norah Krief
du vendredi 24 septembre 2021 au samedi 2 octobre 2021
MC93 - Maison de la culture de Seine-Saint-Denis Bobigny
9 Boulevard Lénine, 93000 Bobigny.

à 20h sauf samedi à 19h30, relâche lundi. Tel : 01 41 60 72 72.

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