La Terrasse

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Avignon - Critique

« À la barre » de Ronan Chéneau dans la mise en scène de Steeve Brunet, une mise en jeu dynamique et intelligente de la justice face aux victimes de violences sexistes et sexuelles

« À la barre » de Ronan Chéneau dans la mise en scène de Steeve Brunet, une mise en jeu dynamique et intelligente de la justice face aux victimes de violences sexistes et sexuelles - Critique sortie Avignon / 2025 Avignon Avignon Off. La Manufacture (extra-muros)
À la barre de la compagnie du P’tit Ballon Crédit : © Arnaud Bertereau

La Manufacture / Texte de Ronan Chéneau / Mise en scène de Steeve Brunet

Publié le 9 juillet 2025 - N° 334

Le théâtre politique d’interpellation n’est pas un genre facile : À la barre constitue un exemple du traitement réussi d’une question éminemment politique, celle des violences genrées, prises sous le prisme de leur traitement judiciaire. Texte intelligent, mise en scène dynamique, interprètes justes sont les trois piliers qui permettent à cette proposition de tenir la gageure.

Sujet délicat, mais sujet essentiel : que pouvons-nous, que faisons-nous face aux violences faites aux femmes et autres personnes dominées à raison de leur genre, de leur âge, de ce qui les constitue en proies aux yeux de ceux qui s’arrogent le pouvoir de nier leur consentement et leur dignité ? À la barre se focalise autour de l’institution judiciaire, lieu privilégié de l’observation de la réaction de la société et de l’État à ce problème dont personne ne peut – comme le rappelle l’un des protagonistes – prétendre qu’il ou elle n’est pas largement informé. Dans l’enceinte judiciaire, les paroles se confrontent, la machine étatique étale sa puissance autant que son impuissance, les destins vacillent, des choses se brisent ou se réparent, la froide rigueur du droit est confrontée aux secousses qui traversent la société et aux attentes – légitimes – des victimes. Les cinq interprètes se succèdent à tous les rôles : tour à tour greffiers, avocats, magistrats du siège et du parquet, victimes, prévenus ou accusés, ils et elles échangent leurs rôles dans un ballet bien réglé, comme pour signifier que rien, ici, n’est affaire d’individus, mais bien affaire de système.

Que faire face à l’insupportable litanie des crimes perpétrés ?

Ce système a un nom, qui finit par être prononcé : le patriarcat. Sous les yeux du public – auquel il est rappelé qu’il est tout à fait à sa place, puisque les audiences sont publiques, et que la justice est rendue en son nom – défilent les affaires : féminicides, harcèlement, violences sur conjoint, viols aussi, de femmes comme d’enfants. Les chiffres, terribles, sont assénés – peut-être un peu trop vite pour faire sens, et en tout état de cause les personnes qui s’y intéressent les connaissent, et celles qui regardent ailleurs continueront de les ignorer. Pas de quatrième mur : tout est fait pour que le public se sente partie prenante des enjeux, sans pour autant le brusquer – quelques traits d’humour viennent d’ailleurs désamorcer la pression quand elle s’accumule. Les cinq interprètes sont très justes, ce qui est extrêmement agréable, en même temps que c’est indispensable pour que les plaidoiries en robe ne tournent pas au ridicule – l’effet de réalisme étant considérablement augmenté du fait que la pièce se joue au tribunal judiciaire d’Avignon, dans l’enceinte même du procès des viols de Mazan, on peut difficilement faire plus symbolique. Le propos est fin et équilibré : on ne peut que comprendre l’inaptitude d’une justice sous-dotée à remplir une mission que la société aimerait lui donner mais que le droit ne peut que très imparfaitement saisir, on mesure la terrifiante généalogie de la violence qui fait que les victimes se transforment parfois en bourreaux, on comprend la profonde injustice des interrogatoires que subissent des victimes qui ne sont pas en mesure de répondre aux questions… La pièce nous confronte à la question : que faire ? Elle y apporte une réponse peut-être idéaliste, mais au moins désirable. L’avenir, après tout, est ce que nous en ferons.

Mathieu Dochtermann

A propos de l'événement

À la barre
du mardi 8 juillet 2025 au vendredi 18 juillet 2025
Avignon Off. La Manufacture (extra-muros)
2 rue des Écoles, 84000 Avignon.

à 11h00 et 15h00 au départ de la Manufacture (trajet 15 mn). Relâche les 12, 13 et 14 juillet. Durée 1h30. Tél : 04 90 85 12 71.

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