La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Tête d’Or

Tête d’Or - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Tempête
© Antonia Bozzi Tête d’Or dans la mise en scène de Jean-Claude Fall : une belle réussite.

Théâtre de la Tempête / Tête d’Or / de Paul Claudel
/ mes Jean-Claude Fall

Publié le 19 mars 2015 - N° 230

Jean-Claude Fall et sa magnifique équipe malienne font entendre le récit claudélien dans toute sa force et sa radicalité.  

Ebloui par la lecture de Shakespeare et Rimbaud, bouleversé par la révélation fulgurante de sa foi à Notre-Dame en 1886, Claudel a une vingtaine d’années lorsqu’il écrit Tête d’Or en 1889 – suivi d’une seconde version en 1894. « Tête d’or est le résultat de cet éblouissement et en même temps de cette lutte », confie Claudel. Tête d’Or, « homme de désir »,  « âme dure », exprime une rage désespérée, une révolte absolue, un cri âpre contre le monde tel qu’il est.  Il extériorise un besoin de liberté et de violence contre la puissance inerte de pouvoirs mal exercés, et fait preuve d’un courage, d’une force et d’un désir de possession indomptables au point de n’être ému par rien, d’être insensible à la chaleur du cœur d’une jeune Princesse (Aïssata Traoré). Les femmes n’ont qu’à tenir leur rang servile et docile. Tête d’Or, c’est une stature certainement héroïque, mais aussi une graine de fasciste ou de djihadiste, un tyran solitaire en puissance. Créée à Bamako au Mali avec des acteurs maliens de la compagnie BlonBa, la mise en scène de Jean-Claude Fall est une splendide réussite, qui inscrit la soif révolutionnaire de Tête d’Or au coeur d’un royaume africain, et souligne avec profondeur, beauté, et une touche d’humour ses enjeux politiques, son déroulement implacable et son ancrage archaïque sur cette terre que les hommes ne parviennent pas à bien habiter. Ce récit s’entend avec acuité dans la réalité politique africaine et dans sa société structurée et hiérarchisée.

Monde vidé de sève et vidé de sens

C’est une idée très ingénieuse de déplacer les spectateurs et de changer d’espace et de perspective pour chacune des étapes de la pièce. D’abord, sur des bancs ou assis sur des nattes, les spectateurs entourent l’espace de jeu. Au pied d’un arbre majestueux, vidé de sa sève comme le monde est vidé de son sens et de sa capacité à s’émouvoir, la rencontre très forte de Simon et Cébès permet aux acteurs de déployer leur talent : Ramsès Damarifa (Tête d’Or) et Abdoulaye Mangané (Cébès). Puis direction la cour du royaume, arène d’un pouvoir usé, indigent et n’offrant aucun espoir, cour menacée par un ennemi puissant que Tête d’Or vaincra. Le portrait brossé par Claudel et remarquablement restitué par Jean-Claude Fall fait vivre des hommes bien fragiles, volontiers lâches, d’un opportunisme de court terme. Entre grotesque et tragique, la course du  vieux Roi (Nouhoum Cissé) que personne n’écoute révèle l’échec d’un système. Enfin, retour sur les gradins du théâtre, face à une vaste terre du bout du monde pour clore la tragédie, lors d’une belle scène. Bravo aussi au joueur de flûte peule Check Diallo et aux chanteuses. Sans aucun exotisme, mais avec une grande pertinence et une impeccable maîtrise des outils du théâtre, Jean-Claude Fall et sa magnifique équipe font résonner le drame dans toute sa force et sa radicalité.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Tête d’Or
du jeudi 12 mars 2015 au dimanche 12 avril 2015
Théâtre de la Tempête
75012 Paris, France

Du 12 mars au 12 avril 2015. Du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h. Durée : 2h15 avec entracte.

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