Triptyque sur la notion d’engagement
Artiste associé au Théâtre National de [...]
Poursuivant sa traversée shakespearienne, Thomas Jolly livre une version rock et toc de Richard III.
Le monstre, c’est vrai, fascine. Bossu brinquebalant, rabougri d’un bout et taillé trop court de l’autre, flétri en fait jusque dans l’âme, Richard porte haut l’infamie de sa difformité et fend par le tranchant d’un verbe séducteur toutes défenses contre l’assaut de ses audaces. « Puisque les cieux ont ainsi façonné mon corps, que l’enfer fasse mon âme difforme pour y répondre. » annonce ce vilain rejeton d’un monde malfaisant, nourri au fiel de la traîtrise et du cynisme ambiant. Puisque l’humanité le rejette et lui refuse les plaisirs égotiques des amours et des fêtes, il deviendra scélérat, mais d’envergure, c’est-à-dire roi. L’époque, lacérée par des décennies de conflits qui ont éreinté le peuple et limé tous les liens même familiaux, se délite dans la paranoïa politique et la dérive sécuritaire qu’impose le roi Edouard IV pour régner. Après la Guerre de Cent ans entre la France et l’Angleterre, puis la Guerre des Deux Roses entre les York et les Lancastre, le crime et la perfidie s’immiscent maintenant au sein de la fratrie et glacent tout d’angoisse. Dans cet univers impitoyable, la moindre faille se révèle fatale et précipite vers la mort. Richard profite à son aise de ce climat délétère pour ourdir ses plans diaboliques, manier mensonges, frayeurs et rumeurs à coups de théâtre et d’esbroufe. Il ose, il tente et fascine ses victimes, qui ploient sous la toute puissance de son désir. Dans cette conquête acharnée du pouvoir, il va loin, toujours plus loin, entraîné dans la spirale du meurtre.
Effets spéciaux
Après une version haletante d’Henry VI, montée comme une saga échevelée de 18 heures, le jeune Thomas Jolly s’attaque à Richard III, dernier opus qui clôt cette tétralogie historique. Il en donne une vision techno rock et toc, qui perd tout sens dans le brouillard des fumigènes et des effets criards. « Richard est-il né monstre ou est-il le produit de la monstruosité de son époque ? » demande-t-il dans sa note d’intention. Sa lecture de l’œuvre malheureusement ne passe pas la rampe, malgré quelques fulgurances. L’inventivité espiègle et le détournement des codes populaires qui servaient avec force Henry VI et avaient subjugué tournent ici à vide, à force de faire joujou avec les projecteurs laser et autres subterfuges technologiques. L’esthétique gothique noir et blanc, marquée par l’influence des mangas, pioche aussi ses références dans le cabaret, le meeting politique, les dispositifs de surveillance ou le concert. La mise en scène use et abuse des artifices, oublie l’essentiel : l’acteur et la puissance du jeu. Thomas Jolly endosse le rôle-titre mais reste superficiel. Ne transparaissent ni le magnétisme irrésistible du mal, ni l’ambiguïté du monstre, ni la mécanique maléfique qui broie ensemble horreur et douleur dans une société dévastée, ni encore l’addiction au jeu du pouvoir. « J’ai joué ma vie sur un coup de dés et je vais en courir la chance. » lance Richard au crépuscule de sa vie. La partie cette fois est perdue. Thomas Jolly a du talent : attendons la prochaine !
Gwénola David
à 19h30, sauf dimanche à 15h, relâche lundi. Tél. : 01 44 85 40 40. Durée : 4h35 avec entracte.
Artiste associé au Théâtre National de [...]