Contre le racisme esthétique
Après sa création à Timisoara en mai 2008, le jeune metteur en scène roumain Radu Afrim présente La Maladie de la famille M., de Fausto Paravidino, au Théâtre national de l’Odéon. Une pièce sur la fragilité qui dresse le portrait collectif et tragique d’une famille ordinaire.
Quels sont les principaux aspects du texte de Fausto Paravidino qui ont suscité votre intérêt ?
Radu Afrim : Je crois que je me suis senti attiré par une certaine forme d’innocence, de naïveté. La Maladie de la famille M. est l’une des premières pièces de Fausto Paravidino. Elle peut passer pour une comédie de jeunesse, mais j’ai eu envie de me mettre à rêver à partir d’elle. J’ai donc fait fonctionner mon imagination, j’ai inventé un monde. Un monde qui se cache derrière les mots souvent simples des personnages, qui permet de révéler la poésie et le mystère des relations qu’entretiennent les membres de cette famille. Pour cela, j’ai été aidé par la scénographe Velica Panduru qui a conçu un espace surréaliste : une forêt à l’intérieur d’une maison.
« Je suis en quelque sorte amoureux de l’hyperréalisme, mais seulement comme point de départ, comme piste de décollage vers l’onirisme ou vers l’âme. »
De quelle façon avez-vous amené les comédiens à s’approprier cet espace surréaliste ?
R. A. : Mon seul souci a été d’investir chaque scène, d’en faire jaillir le sens en analysant les limites des comédiens. Ceci afin de les amener à les dépasser. Et puis, je suis beaucoup intervenu sur le texte, pour modifier les éléments qui me semblaient devoir l’être. J’ai changé des répliques, des personnages… Lorsque l’on met en scène une pièce contemporaine, on se trouve comme sur des sables mouvants, avec le risque d’être englouti à un moment ou un autre. Il faut donc être plus lucide que le texte. Je me sens parfois stimulé par les imperfections de certaines œuvres, par leurs manques. Toutes ces choses peuvent beaucoup m’inspirer : autant que les comédiens.
Diriez-vous que la liberté avec laquelle vous vous appropriez les textes constitue l’une des portes d’entrée de votre univers artistique ?
R. A. : Probablement. Cela ne m’intéresse pas du tout d’être le fonctionnaire de l’auteur. Je veux dire par là que je me comporte avec les textes contemporains exactement comme avec les textes classiques. J’en propose toujours une lecture que je pense personnelle.
Qu’est-ce qui vous enthousiasme et vous émeut particulièrement au théâtre ?
R. A. : La réalité comme prétexte. Je suis en quelque sorte amoureux de l’hyperréalisme, mais seulement comme point de départ, comme piste de décollage vers l’onirisme ou vers l’âme. Je crois que les glissements stylistiques sont souvent nécessaires au théâtre. De plus, je dois dire que je déteste les formes pures, les esthétiques que l’on peut classifier à l’aide d’une simple définition. Si l’on n’essaie pas de favoriser le mélange, on peut vite tomber dans un racisme esthétique. J’aime les textes ou les spectacles qui laissent surgir la poésie et la violence, l’abjection et les gestes naïfs du quotidien.
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
La Maladie de la famille M., de Fausto Paravidino (spectacle en roumain surtitré) ; mise en scène de Radu Afrim. Du 11 au 21 juin 2009. Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h, relâche le lundi. Théâtre de l’Odéon, Ateliers Berthier, 8, boulevard Berthier – 75017 Paris. Réservations au 01 44 85 40 40.