Roméo et Juliette
Omar Porras transpose Roméo et Juliette au [...]
Après une première création française en demi-teinte(1), Krystian Lupa revient en force au Théâtre de la Colline avec une nouvelle troupe de comédiens hexagonaux. Il signe une mise en scène passionnante de Perturbation, roman initiatique de Thomas Bernhard.
On sort de ces presque 5 heures de spectacle comme lessivés. Non écrasés ou vidés, certainement pas abattus, dans un état tenant à la fois de l’éveil et de l’étourdissement : nourris et retournés, comme déséquilibrés par la matière théâtrale imposante à laquelle ont donné corps, sous la direction de Krystian Lupa (qui signe la scénographie et les lumières), les comédiens John Arnold, Thierry Bosc, Valérie Dréville, Jean-Charles Dumay, Pierre-François Garel, Lola Riccaboni, Mélodie Richard, Matthieu Sampeur, Anne Sée et Grégoire Tachnakian. Cette matière – protéiforme, organique – suit les courbes et les élans du « processus impétueux »(2) qui a amené, une fois de plus, le grand metteur en scène polonais à faire naître une œuvre théâtrale à partir d’une œuvre littéraire. Impétueuse, la représentation qui en résulte l’est également. Ample et complexe. Débordante. Profondément vivante. Tout comme le roman(3) de l’écrivain autrichien Thomas Bernhard à partir duquel elle a surgi.
Du grand art
Juxtaposant et enchevêtrant plusieurs réalités scéniques – jeu, vidéo, voix off narrative, mises en abyme… – Krystian Lupa construit une mosaïque dramatique à travers laquelle nous suivons la tournée d’un médecin de campagne autrichien accompagné de son fils. De maison en maison, de chambre en chambre, c’est l’humanité telle qu’elle est qui s’ouvre à nous : avec ses troubles, ses maux, ses plaies à l’âme, ses désordres physiques et psychiques. Investie par une distribution éclatante, Perturbation fait vibrer les désordres de ces perspectives existentielles. On retrouve ici, la noirceur, la lucidité, l’humour grinçant de Thomas Bernhard. On retrouve aussi cette forme de démesure, de profusion qui bouleverse nos repères, nous parle au-delà des mots, au-delà des scènes. Krystian Lupa fait jaillir sur le plateau la matière et le mystère même de la vie. Il nous happe et nous subjugue. Du grand art.
Manuel Piolat Soleymat
(1) Salle d’attente, janvier 2012
(2) Entretiens avec Michel Archimbaud, Centre national du Théâtre (1999), Riveneuve éditions (2012)
(3) Perturbation, Gallimard (1989)
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