Théâtre - Critique

Orphée aphone de Vanasay Khamphommala

Orphée aphone de Vanasay Khamphommala - Critique sortie Théâtre Paris Les Plateaux Sauvages


écriture, conception et interprétation Vanasay Khamphommala

Pour Vanasay Khamphommala, les grands mythes, les grands textes classiques et contemporains sont des matériaux à « transphormer ». À mélanger à des chansons d’amour, par exemple, dont il adresse dès que l’occasion s’y prête les paroles sucrées à des spectateurs seuls face à lui. Chanteuse baroque, comédien, metteur en scène, traducteur, dramaturge – de 2014 à 2018, il a exercé cette fonction auprès de Jacques Vincey au sein du Centre dramatique de Tours, dont il est aujourd’hui artiste associé –, il rejette toute forme de séparation, de hiérarchie entre ses différentes manières d’aborder la scène. Et il le dit, le chante et le performe dans Orphée aphone, sa première création à la tête de sa compagnie Lapsus chevelü, dont le projet n’est rien moins que de « transphormer le monde ». De « déstabiliser les repères établis pour créer des beautés nouvelles », en « revendiquant sa nature parasitique, convaincue qu’il n’y a de beauté que monstrueuse ». Situé en prologue de la pièce, L’Invocation à la muse, créé dans le cadre des Sujets à vif lors du dernier Festival d’Avignon, prépare en douceur à ce bouleversement des valeurs. La performeuse queer Caritia Abell guide Vanasay dans un rituel qui vérifie le lien entre délires érotique et poétique exposé par Platon dans Phèdre. Elle accompagne sa métamorphose. Sa mue, qui fait de lui un troublant homme-oiseau aux cheveux lâchés sur des épaules piquées de plumes. Avec sa beauté inattendue, il fait déjà honneur à Ovide.

Un Paradis aux Enfers

Dans ce premier projet personnel, Vanasay Khamphommala invente un Orphée à partir de deux drames vécus : la perte d’un proche, et une extinction de voix. Souvenirs réels qui nourrissent la figure mythologique, et inversement. La « transphormation » se poursuit au rythme des alexandrins qu’égraine Vanasay-Orphée dès que, pour retrouver son Eurydice, il pose les pieds aux Enfers. Un « lieu obscur et froid / Où ne vibre aucun son, ne sonne aucune voix ! », qui surgit au plateau de presque rien. De subtils jeux d’étoffes et de lumières, de la musique jouée en direct par Gérald Kurdian, et des changements de costumes qui dessinent ensemble une créature dont la frustration – en plus d’avoir perdu son Eurydice, le poète et musicien perd sa voix enchanteresse – est le moteur d’un imaginaire qui décloisonne tout ce qu’elle approche. Nulle séparation entre vie et mort dans Orphée aphone, pas plus qu’entre Paradis et Enfers ou entre masculin et féminin. Après avoir mangé la marguerite qu’il tenait à la main depuis le début de ses négociations avec les dieux, Vanasay-Orphée devient en effet une Vanasay-Eurydice qui déconstruit l’idéal rêvé par le premier. Visuel, mais aussi performatif, rituel, musical et pourtant d’une grande sobriété, l’univers de Vanasay Khamphommala concilie d’une manière unique drame de la séparation et utopie de l’unité. Osant la tendresse sans ignorer la violence, il bouleverse l’esprit autant que les sens.

Anaïs Heluin

A propos de l'événement


Orphée aphone
du lundi 11 mars 2019 au vendredi 15 mars 2019
Les Plateaux Sauvages
5 rue des Plâtrières, 75020 Paris.

à 20h. Tél. : 01 40 31 26 35. www.lesplateauxsauvages.fr


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