La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Muriel Mayette-Holtz adapte et met en scène « Le Professeur » d’Emilie Frèche sur les derniers jours de Samuel Paty

Muriel Mayette-Holtz adapte et met en scène « Le Professeur » d’Emilie Frèche sur les derniers jours de Samuel Paty - Critique sortie Théâtre Paris La Scala
Carole Bouquet dans Le Professeur. © Pierre-Marie Croquet

La Scala / d’après Le Professeur d’Emilie Frèche / adaptation et mise en scène de Muriel Mayette-Holtz

Publié le 17 octobre 2025 - N° 337

Muriel Mayette-Holtz met en scène le texte d’Emilie Frèche sur les derniers jours de Samuel Paty. Carole Bouquet en propose une lecture tout en dignité, qui interroge les rouages de la lâcheté.

Lorsque le Saint-Office refusait de considérer l’hypothèse héliocentrique ou celle d’un monde infini, Bruno préféra le bûcher à l’abjuration. Trente-trois plus tard, Galilée choisit la rétractation. Il est vain d’avoir raison contre les imbéciles ; il est inutile de tenir tête aux assassins. Carole Bouquet pose la question de l’après-Paty au mitan du spectacle : que se passe-t-il désormais que les professeurs savent que leur hiérarchie n’aime pas les vagues et jette les marins à la baille ? Ils renoncent évidemment au délire de mission : tout le monde sait comment finissent les héros solitaires. Il y a des risques inutiles et les hussards sont fatigués. Serait-ce seulement que le ventre de la bête est toujours fécond et les têtes de l’hydre obscurantiste de nouveau prêtes à mordre ? Non pas. Le mal est plus profond : la mesquinerie ordinaire et la lâcheté permettent à la servitude volontaire de garrotter ses victimes. « Celui qui ne connaît pas la vérité, celui-là n’est qu’un imbécile. Mais celui qui la connaît et la qualifie de mensonge, celui-là est un criminel. », disait Brecht.

Est-ce ainsi que les hommes vivent ?

Sans doute les lâches se rassureraient-ils en n’étant pas inquiétés. Emilie Frèche ne leur offre pas la possibilité d’échapper au réquisitoire. Peut-être la jalousie d’avoir perdu les indemnités et le poste de référent culture a-t-elle nourri l’aigreur d’un des collègues de Samuel Paty ; la confusion entre différend politique et diversité pédagogique a sans doute fait taire les autres, quand enflaient les rumeurs… Peut-être l’ignorance de la principale du collège, pensant naïvement que protection fonctionnelle des agents publics signifiait octroi d’un garde du corps, ou sa pusillanimité, confondant fauteur et victime du trouble dans son rapport officiel, ont-elles été mauvaises conseillères… C’est à cet ordinaire de la lâcheté, à cette banalité du mal, que s’attaque Emilie Frèche. Carole Bouquet lit, parce qu’il est évident qu’on ne peut pas jouer. La musique de Cyril Giroux emprunte aux sons de l’école, du brouhaha à la sonnerie, qui retentit comme le compte à rebours du condamné à mort. Les lumières de François Thouret soutiennent adroitement l’adresse au public, que le texte ne laisse pas en repos. La salle est éclairée : nous y sommes et nous en sommes de ceux-là qui, comme la mère d’élève croisée par le Professeur, disent leur soutien mais ne font rien. Carole Bouquet, dans l’élégance austère et la décence grave et digne d’un récit où affleurent parfois la colère, le dépit et le mépris que mérite la lâcheté, se tient dans le magnifique équilibre de celle qui s’obstine à raconter au cœur d’un turbulent silence. Impériale !

Catherine Robert

A propos de l'événement

Le Professeur
du jeudi 9 octobre 2025 au dimanche 14 décembre 2025
La Scala
13, boulevard de Strasbourg, 75010 Paris

Du mercredi au samedi à 19h. Le dimanche à 15h. Relâche du 20 au 28 octobre et le 30 novembre. Tél. : 01 40 03 44 30. Durée : 65 min.

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