La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Classique / Opéra - Entretien

Martin Matalon par Benoist Baillergeau

Martin Matalon  par Benoist Baillergeau - Critique sortie Classique / Opéra
Martin Matalon

Publié le 10 septembre 2011 - N° 189

Martin Matalon dans le monde de Borges

En réponse à une commande du Festival d’Ile-de-France, le compositeur Martin Matalon (né en 1958 à Buenos Aires, installé à Paris) s’est laissé inspirer pour sa nouvelle création par la poésie de son compatriote Jorge Luis Borges, auteur auquel il voue depuis son adolescence une véritable fascination. Dans La Rosa… Matalon reprend à son compte, dans un fourmillement de miniatures fragmentées sculptées de sons, de textes et d’images vidéos ou photographiques, le questionnement du grand écrivain sur la mémoire et le temps.

Benoist Baillergeau, directeur artistique de l’ensemble Ars Nova, qui crée l’œuvre, interroge Martin Matalon sur son ambitieux projet.
 
Benoist Baillergeau : Un jour, tu m’as dit une chose qui m’a énormément frappé. Tu m’as raconté que tu avais passé une partie de ta jeunesse à ne lire que Borges, exclusivement. Pourquoi ?
Martin Matalon : J’ai découvert Borges la semaine même où j’ai quitté l’Argentine. Je devais commencer par un voyage en Europe, pendant 2 mois. Au Danemark, j’ai acheté un livre en français : Le livre de sable. C’était ma première rencontre avec ses textes. A partir de ce moment-là, je crois, il ne m’a plus quitté. C’était en 1979. Pendant les treize années suivantes, je n’ai lu et relu que du Borges… En faisant ce travail aujourd’hui, j’ai le sentiment pour la première fois de commencer en quelque sorte à le démystifier. Je me submerge à nouveau dans son œuvre avec bonheur. Je me balade avec elle et, dès que j’ai un moment, je me plonge dedans. Quand je le lis, il touche des cordes très sensibles et profondes en moi.
 
« Le traitement de la miniature est peut-être la problématique centrale de cette pièce composée d’environ une trentaine de sections. »
 
B.B. : Peux-tu nous parler de la façon dont ce projet La Rosa a mûri dans ta tête, depuis les prémisses de cette proposition du Festival d’Ile-de-France jusqu’à aujourd’hui ?
M.M. : D’une part, j’avais envie de dépasser le cadre du concert conventionnel, pour aller vers une forme de spectacle. Avec de la musique bien sûr, mais aussi avec des textes, des images, une scénographie et une mise en scène. Je considère la forme du concert contemporain conventionnel où l’on mélange, suivant des critères plus ou moins nébuleux, quatre ou cinq compositeurs aux styles différents, comme un modèle dépassé, qui n’apporte pas grand-chose au public ni au compositeur. D’autre part, j’étais très heureux de travailler avec des textes de Borges, j’étais curieux de savoir quel effet cela produirait en moi de m’immerger à nouveau dans son univers, vingt ans plus tard. Car c’est une chose de lire un auteur et cela en est une autre d’écrire une musique sur ses textes.  Le rapport n’est pas le même, dans le second cas, une symbiose, une relation plus profonde s’établit, il s’agit de vivre de façon intense pendant plusieurs mois avec cette œuvre…. 
J’ai souhaité constituer un ensemble instrumental coloré avec des timbres variés et distincts. J’aime composer des pièces courtes. Je voulais aborder la grande forme à partir de la miniature. Borges était pour moi le maître de la miniature, peut-être à cause de sa cécité. Il devait mémoriser ses textes pour après les dicter. Pour revenir à La Rosa, le traitement de la miniature est peut-être la problématique centrale de cette pièce composée d’environ une trentaine de sections qui s’enchaînent et dont la durée varie entre 15 secondes et 6 minutes. Des miniatures plus ou moins longues s’intercalent de manière à créer une dynamique et un rythme formels. L’idée de miniature, c’est pour moi l’idée musicale présentée de façon essentielle, sans les divers développements linéaires que l’on connaît : prolifération, accumulation, processus, répétition… 
 
 
B.B. : Combien de poèmes de Borges le spectacle utilise-t-il ?
M.M. : Il y en a sept dont un, 17 haïkus, qui comme l’indique son nom est composé de 17 petites merveilles. Dans les sept poèmes choisis, certains sont très intimistes. C’est quelque chose que j’adore chez Borges. Quand on le lit, on a l’impression qu’il est en train de s’adresser à vous. Il crée un vrai rapport d’intimité. Et ça, ce sont des choses musicalement très sensibles, fines, très intéressantes à explorer… D’autres poèmes ouvrent l’imaginaire (parfois monstrueux), vers l’infini… et tous ouvrent la réflexion.
 
B.B. : Pour créer ce spectacle, tu as choisi de mêler d’autres éléments qui ne sont pas forcément des éléments musicaux mais qui vont aider les spectateurs à rentrer dans cet univers… 
M.M. : Oui, tout à fait. Je peux compter sur plusieurs éléments importants : la scénographie, les lumières et la vidéo, pour créer des contrepoints. Parfois simplement pour mettre en lumière la musique ou le texte. Le fait de pouvoir compter sur tous ces éléments donne du souffle à la musique et ouvre le spectacle à d’autres dimensions.
 
B.B. : Tous les instruments vont être traités électroniquement, travail que tu vas faire avec des réalisateurs en informatique musicale et avec Christophe Hauser au niveau de la diffusion. Cela signifie-t-il qu’il y a un travail non seulement sur l’écriture pour l’instrument mais aussi un travail de transformation des sons et de spatialisation ?
M.M. : Il y aura effectivement un travail sur la spatialisation. J’utiliserai six points de diffusion dans l’espace. Il existe une multiplicité de trajectoires possibles entre ces six points. Chaque phrase, chaque son, peut avoir sa propre trajectoire. Et chaque trajectoire peut être dynamique : on peut faire des accelerandos, des decelerandos, des éloignements, des rapprochements, des axes croisés, des circulaires, des circulaires contraires, etc.… Imaginez toutes les combinaisons possibles ! Et puis il y a les transformations du timbre, par des artifices comme le filtrage, l’addition ou la soustraction de diverses composantes du son (on peut, par exemple, soustraire la partie harmonique d’un instrument, on reste alors avec les bruits de l’instrument), on peut faire aussi l’inverse ou explorer toutes
les nuances entre les deux.  Sans compter toutes les transformations possibles sur le temps. On peut le prolonger indéfiniment. Les possibilités d’un ensemble, avec le traitement électronique, se démultiplient à l’infini.
 
Entretien réalisé en collaboration avec Jean Lukas.


Jeudi 6 octobre à 20h30 au Théâtre du Conservatoire National d’art dramatique de Paris. Tél. 01 58 71 01 01. Places : 16 et 22 €.
 

Avec l’ensemble instrumental Ars Nova dirigé par Philippe Nahon, Isabel Soccoja (mezzo-soprano), 
Pascal Contet (accordéon), 
Rodolfo De Souza (comédien), 
Marko Echeverria (création visuelle) et 
Diana Teocharidis (mise en espace).

A propos de l'événement


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