La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Les Justes

Les Justes - Critique sortie Théâtre
Crédit : Elizabeth Carecchio Légende : Stanislas Nordey met en scène une version lourdement ennuyeuse des Justes.

Publié le 10 avril 2010

Croyant sortir Camus du purgatoire poussiéreux des bibliothèques, Stanislas Nordey le précipite dans l’enfer de l’ennui et de la neurasthénie en une longue, déclamatoire et insupportable agonie.

Camus, précurseur de Beckett et modernisateur de la tragédie : telles sont les deux idées qui servent de guides à Stanislas Nordey pour cette lecture des Justes faussement épurée, véritablement boursouflée et crispante de hiératisme pesant. Plateau nu, fond de scène mordoré et élégant camaïeu de gris dans les costumes : la sobriété chic et toc de l’ensemble impose la retenue aux comédiens qui usent d’emblée d’une diction ralentie, détachant chaque syllabe avec une lenteur épuisant le sens du texte. Point de psychologie apparente dans le traitement des personnages, transformés en pantins d’une cause suicidaire. Noir, c’est noir : on comprend d’emblée que les lendemains ne chantent guère chez ces anarchistes dépressifs, et la provocation joyeuse et folle qu’Ivan Kaliayev impose à ses camarades de lutte a les allures d’un cynisme insensé et de mauvais aloi. Point de psychologie donc, et, en guise d’élucidation des postures, une chorégraphie lourdaude et une adresse quasi constante au public (difficile de comprendre alors la fièvre qui saisit Dora et Ivan et qui constitue un des contrepoints d’humanité et d’espoir dans ce grand fleuve charriant des cadavres), mais, redoutable retour du bâton, un psychologisme naïf dans l’interprétation.
 
Contresens et trahison
 
Damien Gabriac passe une bonne partie de la pièce à sangloter, Wajdi Mouawad crie beaucoup et fait preuve d’un charisme révolutionnaire à peu près aussi crédible que celui des éructations exaltées de Thorez, Frédéric Leidgens a des allures de supplicié énervé, Vincent Dissez réussit le tour de force de transformer le romanesque Ivan en donneur de leçons sentencieux et brutal. Seule Emmanuelle Béart a parfois des accents de vérité et d’émotion, mais elle est aussitôt reprise dans le carcan glacé d’une direction d’acteurs déshumanisante. Les comédiens ne parviennent pas à tenir le pari de ce parti pris faussement tragique et faussement beckettien (qui relève d’ailleurs d’une lecture on ne peut plus hâtive et platement doxique de ces deux sources), ne serait-ce que parce que le texte lui-même fait mentir cette volonté d’épure. Il y a, chez Camus et chez ses révolutionnaires, de la chair, le souvenir du soleil et le remords du renoncement, le regret du plaisir et de l’amour malgré tout qui fait qu’on s’interroge sur la nécessité de tuer pour des idées : transformer cette dialectique taraudante entre l’amour et la mort (qui est loin d’être une bluette) en vaste démonstration prétentieuse aux allures d’un stalinisme pédagogique de pacotille relève de la trahison voire du ridicule. Stanislas Nordey et ses comédiens réussissent à dégoûter à la fois du théâtre et de la révolution : un peu trop pour un seul spectacle…
 
Catherine Robert


Les Justes, d’Albert Camus ; mise en scène de Stanislas Nordey. Du 19 mars au 23 avril 2010. Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30. La Colline – Théâtre national, 15, rue Malte-Brun, 75020 Paris. Réservations au 01 44 62 52 52. Durée du spectacle : 2h30.

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