En aparté
Une pièce jeune public qui émerveille depuis [...]
Faizal Zeghoudi présente sa version du Sacre du printemps, dont il livre une lecture résolument politique.
Invité à créer une pièce célébrant l’indépendance de la Colombie, Faizal Zeghoudi s’est saisi du Sacre du printemps : dans le rituel païen imaginé il y a cent ans par Stravinski et Nijinski, il puise l’idée qu’il faut un sacrifice pour permettre une renaissance. Initialement interprétée par un groupe mêlant des danseurs français et colombiens, la pièce est aujourd’hui reprise par la compagnie de Faizal Zeghoudi. Après trois semaines seulement de répétition, la version présentée à Paris paraissait encore fragile, mais il ne fait pas de doute que les danseurs s’approprieront progressivement cette écriture singulière, à la fois formelle et aspirant au débordement. De la chorégraphie de Nijinski, Faizal Zeghoudi reprend la construction en petits groupes de danseurs, dont les actions se trament et composent un espace multiple, dans lequel le regard du spectateur doit inventer son chemin. Quant à la musique, il s’en saisit comme d’un appui qui entraîne les danseurs dans une tension grandissante. Les déplacements s’enchaînent, les mouvements s’agrandissent : c’est dans l’épuisement non feint qui en résulte, dans cet engagement physique total, que se révèlent concrètement le sens politique de la pièce, et la lutte qu’elle donne à voir.
Une relecture des rôles féminin et masculin
Mais la dimension engagée de la pièce ne se résume pas à l’évocation de l’histoire colombienne ou, plus généralement, des peuples pour leur autonomie. Elle se joue également, de façon moins marquée, mais tout aussi efficace, dans le rôle que prend le personnage féminin. Dès son apparition, la seule interprète féminine – Aurore Delahaye, très impressionnante – semble porter une subversion de la figure de l’Elue sacrifiée. Incisive, les bras puissants, le centre de gravité bas, elle jette son corps dans la bataille, laissant à ses collègues masculins la prise en charge des parties lyriques. Et à la fin de ces 45 minutes haletantes, ce n’est pas elle, mais un homme (Ludovic Atchy Dalama, convaincant lui aussi) qui se trouve « sacrifié », et mis à nu sur le plateau. Un homme « élu », dénudé, préféré à une femme pour être sacrifié par et pour sa communauté : il y a là aussi un choix politique – qui nous renvoie aux stéréotypes de genre dont nous sommes porteurs et dont l’effet, dans la salle, est éminemment palpable.
Marie Chavanieux
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