La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

LE FAISEUR

LE FAISEUR - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre des Abbesses
L'esthétique et le jeu stylisé des acteurs font merveille. Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

Reprise / Théâtre des Abbesses / de Balzac / mes Emmanuel Demarcy-Mota

Publié le 24 février 2015 - N° 230

Emmanuel Demarcy-Mota et sa troupe reprennent la pièce de Balzac et en restituent avec finesse et drôlerie acide toute la force critique.

Un mot mis au secret, à peine lâché, sitôt s’évade en murmurant, part en cavale et régale ses hôtes d’un dîner à l’autre, caressant habilement l’appétit des spéculateurs ventrus : voilà bientôt qu’il gonfle en rumeur d’importance, enfle jusqu’à devenir vérité puis réalité… Ainsi va le monde de papier monnaie, qui se crée à coups de bluffs et change au gré des fluctuations boursières. Mercadet le sait bien, bourgeois désargenté qui fait commerce de fausses nouvelles pour manipuler les cours et éviter la ruine. Appliquant « L’art de payer ses dettes et de satisfaire ses créanciers sans débourser un sou », méthode publiée sous opuscule en 1837 par Balzac, l’affairiste en faillite ne cherche pas à rembourser son dû mais bien plutôt à produire de l’argent par la force de la parole mue en actions. Pour cela, le faiseur manie les apparences, fait usage de faux et prend postures d’impostures, glisse ses complices et les grime en riches associés. Il mène d’ailleurs les tractations matrimoniales comme il négocie au marché des valeurs et va jusqu’à vouloir marier sa fille avec un jeune gandin qu’il croit prospère héritier… et se révèle escroc plus fauché que lui encore.

Le virtuel devient le réel

Dans cette comédie noire écrite en 1840, au soir de son œuvre, Balzac entrevoit le basculement à venir de son époque : quand hier la fortune reposait sur la propriété foncière ou industrielle, elle se dématérialise et s’amasse désormais en titres boursiers selon les lois du capitalisme financier. Le mensonge s’érige ici en principe social généralisé, indispensable pour éviter les conflits ou la misère, et se traduit en un modèle économique : le crédit, comme pensée de l’avenir. Ainsi Mercadet invente-t-il un univers parallèle bâti sur la croyance des créanciers et leur espérance de gains. Pris dans l’engrenage des feintes, illusions et subterfuges, le réel finalement se délite tant les mots le font et le défont. C’est toute la finesse de la mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota que de montrer ce processus à l’œuvre. Plutôt que d’enferrer ce vaudeville retors dans une vision réaliste plantée de nos jours, il opte pour une esthétique stylisée, aux lisières du fantastique, qui évoque l’espace mental et social de ces bourgeois obsédés par l’argent. Dans une scénographie instable, qui oscille entre chute et ascension, les acteurs tiennent l’équilibre entre incarnation et distanciation, drôlerie et cynisme, dessinant les contours de leurs personnages pour mieux en faire vibrer le vide intérieur. A ce jeu-là, ils excellent, et notamment Serge Maggiani qui donne à Mercadet une troublante humanité. Au fond, il n’y a rien de plus vrai que le mensonge… N’est-ce pas là tout l’art du théâtre et le génie de cette pièce ?

Gwénola David

A propos de l'événement

LE FAISEUR
du jeudi 26 mars 2015 au samedi 11 avril 2015
Théâtre des Abbesses
31 Rue des Abbesses, 75018 Paris, France

du mardi au samedi à 20h30, dimanche 29 mars à 15h. Tél. : 01 42 74 22 77. Durée : 1h50. Spectacle vu en mars 2014 au Théâtre des Abbesses.

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