Théâtre - Critique

L’Amour en toutes lettres d’après Martine Sevegrand, mise en scène Didier Ruiz

L’Amour en toutes lettres d’après Martine Sevegrand, mise en scène Didier Ruiz - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de Belleville


D'après L’Amour en toutes lettres – Questions à l’abbé Viollet sur la sexualité (1924-1943) de Martine Sevegrand / mes Didier Ruiz

Pour lutter contre le déclinisme selon lequel le niveau baisse et la moralité est en berne, on peut faire malicieusement la liste de tout ce qui atteste qu’il n’est pas vraiment certain que c’était mieux avant… De la pénicilline à la chimiothérapie, des vaccins à l’anesthésie dentaire, on aura tôt fait de rappeler que le monde va un peu mieux depuis qu’on a appris à demeurer en vie plus longtemps et à moins souffrir. Mais en sortant du spectacle mis en scène par Didier Ruiz, tout le monde s’accorde sur les vertus indépassables de la contraception, qui permit de définitivement séparer la reproduction de l’espèce et la jouissance sexuelle ! Créé il y a vingt ans, ce spectacle a conservé sa fraîcheur, son audace, sa force politique, son acuité anthropologique et surtout le puissant parfum de scandale qui en émane ! Avis aux amateurs d’esclandre et de turpitudes salaces : rien de pornographique dans le récit de la sexualité des années 30 et 40. Si scandale il y a, il naît de la sidérante naïveté, de la terrifiante ignorance et des stupides interdits qui entouraient encore les pratiques sexuelles il y a moins d’un siècle !

Jouissez sans entraves !

Silvie Laguna et Didier Ruiz ont adapté pour la scène les lettres recueillies par Martine Sevegrand, qui a étudié la correspondance de l’abbé Viollet, directeur de conscience des âmes chrétiennes qui lui exposaient les affres de leur libido corsetée en espérant des conseils, des consolations et, parfois, l’absolution pour avoir osé désirer leurs conjoints hors des strictes nécessités de l’engendrement prospère. Homosexualité honteuse, incompréhension face aux interdits des caresses, effroi face aux appâts du lit conjugal que l’Eglise considérait comme un lieu de débauche quand on ne s’y couchait en glaçon raisonnable, révolte aussi de celui qui voit s’étioler sa femme à force de grossesses ou de celle qui remarque malicieusement que le prêtre abstinent est sans doute le plus mauvais des conseillers conjugaux : tout dit, avec une simplicité poignante et une émotion palpitante, que la jouissance est la condition du bonheur et que quiconque s’en prive se condamne à l’enfer… Si les comédiens sont tous excellents et s’il est passionnant de les voir ainsi rejouer une partition qu’ils ont désormais incorporée à force de l’interpréter depuis vingt ans, l’intérêt majeur de ce spectacle, qui en fait un viatique indispensable pour notre époque, tient à ce qu’il rappelle, sans tambours ni trompettes mais dans l’évidence de l’aveu malheureux, que la vie ne vaut absolument rien si elle n’est faite que de devoirs et d’interdits. Puissent l’admettre les castrateurs contemporains, encore si nombreux !

Catherine Robert

A propos de l'événement


L’Amour en toutes lettres d'après Martine Sevegrand, mise en scène Didier Ruiz
du lundi 8 avril 2019 au mardi 28 mai 2019
Théâtre de Belleville
94, rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris

Le lundi à 21h15 et le mardi à 19h15. Tél. : 01 48 06 72 34. Durée : 1h.


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