Gulliver
Revenu de chez les Lilliputiens, Gulliver [...]
La mise en scène de Dominique Pitoiset actualise la pièce de Brecht pour interroger ici et maintenant les dérives et les risques associés à la conquête du pouvoir. Une alerte brutale et efficace servie par l’époustouflant Philippe Torreton.
Une « foi robuste », « fanatique », « inébranlable » : de son propre aveu, voilà ce qui permet à Arturo Ui de grimper tout en haut de l’échelle. Pour les moyens et l’élimination des obstacles, il se débrouille : mensonges, manipulations et meurtres en quantités. Nécessité fait loi… Dans la mise en scène de Dominique Pitoiset, on a quasi oublié les choux fleurs et le commerce des légumes à Chicago, ville corrompue où régna Al Capone, mais les méthodes mafieuses demeurent. Farce historique écrite en 1941, écho grinçant à l’ascension d’Hitler, la pièce invite à la vigilance, et Dominique Pitoiset n’hésite pas à se faire insistant pour souligner le danger d’errements risqués et de solutions faciles qui s’appuient sur les peurs et les illusions. Ce qui est au cœur du propos, c’est la conquête du pouvoir, ici et maintenant. Fidèle en cela aux visées de Brecht, la mise en scène nous alerte, et nous interpelle sans ménagement par des allusions explicites à Hitler, parfois brutes de décoffrage, comme ce tracé macabre de la croix gammée. La ville de Cicero de l’Etat d’Illinois, où Al Capone avait mis à genoux les autorités, est ici devenue explicitement l’Autriche. A l’heure où le populisme se fait de plus en plus menaçant, où la communication s’impose en politique, où le Président des Etats-Unis nouvellement élu a abusé pendant toute sa campagne d’invectives et de mensonges grossiers, et où la France est en pleine campagne présidentielle, il ne s’agit pas d’être subtil, mais d’être militant, en soulignant la perversité et la cruauté des mécanismes qui anéantissent la démocratie.
La liberté assassinée
La scénographie efficace installe face au public une paroi métallique de tiroirs de morgue : symbole de liberté, icône de la République française, Marianne est-elle condamnée à y être oubliée ? A travers des écrans vidéo, le réel fait intrusion – de l’incendie du Reichstag aux violences urbaines d’aujourd’hui, avec comme projection inaugurale quelques extraits d’une extraordinaire soirée à l’opéra de Rome en mars 2011, lorsque Riccardo Muti avait bissé le chœur des esclaves Va pensiero de Nabucco de Verdi et invité le public à chanter, protestant ainsi contre les coupes dans le budget de la culture par Silvio Berlusconi. C’est une belle entrée en matière : une culture en bonne santé est signe de vitalité démocratique, et les dictateurs s’emploient toujours à l’asservir et la détruire. Le plateau chic est un lieu de négociations et de tractations, lieu privé ou public, lieu de mensonges en toutes circonstances. Mensonge tragique et terrifiant entre tous, les accusations délirantes d’Hitler contre les Juifs… Au fil de son avancée, la pièce accentue son intensité dramatique, notamment grâce au jeu impeccable des comédiens, et en premier lieu de Philippe Torreton, à l’immense talent. Il ne caricature en rien Hitler, il est d’abord une volonté inaltérable, prête au pire, une énergie brute, condensée, inflexible, il est l’honorable Arturo, le « guide énergique » aussi conspirateur que Richard III… « Qui peut savoir jusqu’où nous pourrons sombrer ? ». A bon entendeur…
Agnès Santi
Du mardi au samedi à 20h45, le dimanche à 17h. Durée de la représentation : 2h30. Tél. : 01 46 61 36 67. www.lesgemeaux.com.
En tournée. Du 1er au 3 décembre au Théâtre de Cornouaille - Scène nationale de Quimper, du 7 au 10 décembre au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, du 13 au 15 décembre à la Scène nationale de Chalon-sur-Saône, les 5 et 6 janvier 2017 à la Maison de la Culture d’Amiens, les 10 et 11 janvier à la Scène nationale de Valenciennes, le 14 janvier au Théâtre d’Antibes, du 17 au 21 janvier au Centre national de création de Châteauvallon, du 25 au 27 janvier à la Scène nationale de Sète et du Bassin de Thau, du 31 janvier au 4 février au Théâtre Dijon-Bourgogne, du 7 au 11 février au Théâtre du Gymnase à Marseille, du 15 au 17 février à La Comédie de Saint-Etienne, du 24 au 26 février au Théâtre de Sénart, les 2 et 3 mars à la Scène nationale de Perpignan, du 7 au 11 mars à la MC2 de Grenoble, du 14 au 16 mars à la Scène nationale de Chambéry, du 21 au 24 mars à la Scène nationale de La Rochelle, du 29 au 31 mars à la Scène nationale de Brest, les 26 et 27 avril à la Scène nationale de Saint Brieuc. Spectacle vu au Théâtre Les Gémeaux - Scène nationale de Sceaux. Durée : 2h
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