Focus Grand ReporTERRE réfléchit les bouleversements de l’époque au fil de spectacles engagés
« Mettre en pièce l’actualité », soit unir [...]
Artisans talentueux, Jérémie Le Louët et les siens revisitent Macbett de Ionesco, leur premier spectacle créé il y a 20 ans. La mise en scène et le jeu manient un art de la précision finement équilibré, laissant place au comique et à une réflexion critique sur la mécanique du pouvoir, sur la versatilité des pulsions humaines.
C’est une représentation véritablement habitée que proposent Jérémie Le Louët et la compagnie Les Dramaticules. Habitée par des fantômes du passé pleins de vigueur qui s’immiscent dans l’époque, habitée par tout ce qui fait une vie de troupe au long cours, qui a connu ses joies et ses peines, et qui a su, indéniablement, préserver et chérir son élan créatif. Il s’agit ici d’une double réécriture. Celle de Ionesco qui réinvente la pièce écossaise de Shakespeare devenue Macbett, farce sarcastique transformant certains personnages et intrigues, mais exposant aussi à sa manière grotesque la mécanique du pouvoir, l’ambition illimitée qui contamine tous les protagonistes, le prompt avènement de la tyrannie. Celle des Dramaticules qui vingt ans après revisite leur premier spectacle mis en scène juste après la sortie de l’école, qui fut alors couronné de succès et même chroniqué de manière élogieuse dans nos colonnes ! Après avoir achevé un cycle de créations, Jérémie Le Louët et les siens ont voulu régénérer leur pratique en revenant à cette œuvre initiale, qu’ils polissent et exacerbent sans aucun effet appuyé, en maniant un art de la précision qui fait mouche. Cette nouvelle mise en scène au cordeau est une leçon de théâtre : la mise en scène trouve le juste équilibre en faisant place aux aspects contradictoires de la partition sans que l’un écrase l’autre, dans une amplitude et une jubilation d’un jeu très tenu qui impressionnent. Grâce aux interprètes tous excellents – Julien Buchy, Anthony Courret, Jonathan Frajenberg, Jérémie Le Louët, Dominique Massat et Laurent Papot -, la chair des mots se fait présence malicieuse, exercice pointu et profération virtuose.
Une théâtralité qui traverse les époques
Ainsi, la farce caustique et la tragédie désespérante coexistent dans une fluidité vive et rythmée. Même lorsqu’ils vrillent ou s’aventurent dans une veine grotesque, les mots résonnent à leur manière singulière. Enfant du siècle d’Hitler et Staline, Ionesco bien qu’associé au théâtre de l’absurde s’exprime évidemment sur les ravages du totalitarisme. Le comique laisse sourdre l’angoisse, met à jour la répétition du meurtre encore et encore, la propension à l’obéissance, à la servitude volontaire. Autant de dérives que la mise en scène éclaire avec intelligence. Comment ne pas reconnaître çà et là des échos évidents à notre actualité ? En fond de scène sont postées des effigies de guerriers de toutes époques, de l’Antiquité à nos jours, dans une tonalité écarlate (la scénographie est signée par Blandine Vieillot). La mise en scène s’amuse brillamment de ce paradoxe : le théâtre et ses artifices se voient (y participent la création sonore digne d’un film à suspense de Théo Pombet, les costumes d’Isabelle Granier) mais pourtant racontent, transmettent quelque chose d’essentiel en lien avec l’existence humaine. Et puisque la pièce traverse toutes sortes de registres, Jérémie Le Louët orchestre ce voyage comme un jeu, souvent drôle, où s’agitent des personnages comme des pantins livrés au destin. Une mécanisation qui au-delà de la forme fait écho à l’inéluctable avancée vers le pire, questionnant notre libre-arbitre autant que nos aveuglements. « Ce sont les événements qui règnent sur l’homme, non point l’homme sur les événements. » dit Macbett, anti-héros tyrannique et enfantin, esclave du pouvoir et dépossédé de toute grandeur. Au fil de cette pièce affûtée, Les Dramaticules célèbrent la force du théâtre avec maestria, aiguisent aussi la puissance critique d’une farce pessimiste.
Agnès Santi
Le 15 novembre à 20h. Tél : 01 43 74 73 74. Le Colombier à Ville d'Avray, le 21 novembre à 20h30. Tél : 01 47 50 35 41. Théâtre des Arcades à Buc, le 27 novembre à 20h30. Tél : 01 39 20 71 37. Le Moustier à Thorigny-sur-Marne, le 29 novembre à 20h30. Tél : 01 60 07 89 28. Théâtre de Châtillon, 3 rue Sadi Carnot, 92320 Châtillon. Du 1er au 6 décembre, du lundi au vendredi à 20h, samedi à 18h. Tél : 01 55 48 06 90. Tournée jusqu’en février 2026. Spectacle vu au Théâtre Jacques Prévert à Aulnay-sous-Bois. dramaticules.fr
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Sous la direction d’Hubert Colas, Ahmed [...]
Muriel Mayette-Holtz met en scène le texte [...]