La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2015 - Entretien Olivier Py

Je suis l’autre

Je suis l’autre - Critique sortie Avignon / 2015 Avignon
Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage

Cour d’honneur du Palais des papes / Le Roi Lear / de Shakespeare / mes Olivier Py/ Vedène / Hacia la Alegria / texte et mes Olivier Py

Publié le 26 juin 2015 - N° 234

Après un premier festival secoué par les bourrasques climatiques et politiques, Olivier Py met la deuxième édition de son mandat avignonnais sous le signe de l’altérité salvatrice et fraternelle.

« Avignon, c’est aller vers la lumière. »

Quel est l’état financier du festival ?

Olivier Py : Emblématique de ce qui se passe en France : la ville d’Avignon baisse les subventions, même si le reste de nos soutiens maintiennent les leurs. Cela affecte moins la programmation que la durée du festival, réduite de deux jours. Nous devons aussi récupérer le déficit de l’an dernier. Nous avons donc fait d’importantes économies sur le fonctionnement : principe de réalité !

Autre principe, programmatique cette fois : « je suis l’autre ». Pourquoi ?

O. P. : Celle-là n’est pas seulement circonstancielle, même si la foule entière qui la reprenait en janvier m’a frappé, et qu’elle acquiert un sens particulier dans le Vaucluse où le Front National a établi des records aux dernières élections. La culture c’est la passion de l’étranger parce qu’il est l’autre. Chaque spectacle interroge cette évidence, même si tous sont différents. Certains donnent des réponses très frontales ; d’autres créent, le temps d’un spectacle ou du festival, un moment de paix, pas plus, certes, mais c’est déjà beaucoup. Dans le même esprit de rencontre, les Ateliers de la pensée aménagent, entre le public, les penseurs et les artistes, un lieu de parole libre, expérimental et joyeux, ni discursif, ni cérébral, comme une université à ciel ouvert.

Pourquoi choisir aujourd’hui Le Roi Lear ?

O. P. : C’est la pièce la plus extraordinaire jamais écrite, l’assomption de Shakespeare. Particulièrement pessimiste, elle raconte la catastrophe généralisée, la fin du monde. Non seulement la fin de la Renaissance, monde de Shakespeare, mais aussi la fin dont le XXème siècle a été le cadre. Je crois que Le Roi Lear n’est pas une pièce classique, mais une pièce du XXème siècle, le plus catastrophique de l’Histoire de l’humanité, le plus violent, celui qui a mis fin à l’Histoire et au progrès, le siècle du découragement. Dans ce récit de ténèbres, il y a pourtant un élément d’espoir, car le théâtre, aussi désespéré soit-il, est toujours un motif d’espoir en lui-même. La philosophie ni le langage n’atteignent le lieu où Lear est tombé. Mais la pièce est là, c’est une œuvre d’art, pas un propos désespéré. C’est paradoxal, mais c’est l’élément même de l’espérance.

Comment une seule phrase, celle de Cordélia, peut-elle entrainer le désastre ?

O. P. : Le désastre commence par un doute sur la parole et sa capacité à co-créer le monde. Cordélia dit une chose terrible à Lear : il y a une faille dans le langage et tout roi qu’il est, il est mortel. Le Roi Lear est une pièce incroyable sur les rapports entre la violence et le langage. Le langage est impuissant, n’atteint pas les finalités ou les causes, ne peut pas dire l’amour. Shakespeare le fait dire à Lear : la phrase de Cordélia est une « machine de guerre ».

Vous confiez le rôle de Lear à Philippe Girard.

O. P. : Il est fait pour jouer ce genre de rôle. Après avoir joué tous les pères et tous les fous de mon théâtre, il joue les pères fous ! Philippe Girard est aussi un compagnon de route et je retrouve beaucoup d’autres fidèles dans cette mise en scène. La folie n’est pas strictement médicale chez Shakespeare, elle dit la vérité. Le seul qui la dise, c’est le fou. Quand Lear devient fou, il redonne à la parole toute sa force. Voilà pourquoi il faut un grand tragédien.

Vous présentez également Hacía la alegría.

O. P. : Cette pièce est tirée du premier chapitre de mon roman, Excelsior. C’est une pièce pour un seul acteur et un quatuor à cordes, qui interprète la musique du grand compositeur Fernando Velázquez. Il fallait un acteur surpuissant pour ce projet difficile, très physique et très virtuose. J’ai rencontré Pedro Casablanc, une sorte de titan. A priori, je n’imaginais pas le personnage sous ses traits, mais j’ai adoré son interprétation. Le texte acquiert grâce à lui et grâce au castillan percussionnant une énergie incroyable. Ce conte philosophique rejoint les questions que je me posais en traduisant Le Roi Lear : une course terrible, une catastrophe initiale, un retour dans un lieu de boue, de ténèbres, d’ordures pour essayer de voir quelque chose. Mais le parcours de Lear est plus agnostique que celui de mon personnage qui trouve une lumière en bout de course. N’oubliant pas le titre : vers la joie !

Avignon, pour vous, est-ce cette course vers la joie ?

O. P. : Avignon, c’est aller vers la lumière. J’ai toujours adoré cette ville. Je reste attaché à la décentralisation, qui est l’endroit d’où je viens ; je ne suis pas parisien ! Ici comme partout où je suis passé, la création s’accompagne d’actions sur le terrain toute l’année, au collège Anselme-Mathieu, à la prison du Pontet. Il faut souvent faire tout avec rien mais j’aurais été malheureux sans ce travail indispensable, qui l’est d’autant plus quand il est en direction de la jeunesse. Pour cette deuxième édition, nous avons réussi à conserver les abonnements pour les jeunes et la baisse des tarifs, décision difficile à défendre en temps d’austérité. Nous avons déjà rajeuni le public l’an dernier. La jeunesse est aussi sur scène : l’émergence et la découverte constituent 70% de la programmation. Ce festival doit être le lieu de renouvellement des esthétiques. Beaucoup de jeunes artistes, et beaucoup de jeunes artistes français sont présents cette année.

 

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Le Roi Lear
du samedi 4 juillet 2015 au mardi 14 juillet 2015


Festival d’Avignon.

Le Roi Lear, du 4 au 13 juillet à 22H, relâche le 9,  dans la Cour d’honneur du Palais des papes.

Hacía la alegría, du 7 au 14 juillet à 18h, relâche le 11, à l’Autre scène du Grand Avignon, Vedène. Tél. : 04 90 14 14 14.

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