Isabelle Barbéris, Contre le nouvel académisme, conformiste et anticulturel
Chercheuse associée au CNRS, maître de [...]
Après le succès du pêchu F(l)ammes, Ahmed Madani ausculte la relation conflictuelle entre une mère et sa fille, qui se radicalise. Un théâtre à l’écoute de la fragilité des êtres.
Commencée en 2014, bouleversée par les attentats de janvier 2015 qui frappèrent Paris, l’écriture de ce texte explore le sujet de la radicalisation religieuse des jeunes filles. Fidèle à sa manière fine, intègre et sensible, Ahmed Madani ancre la pièce dans le réel, sans effets, tout en exerçant son regard d’artiste et d’homme engagé dans la vie de la cité, passionné par les histoires humaines. A la terreur et la pitié de la tragédie, il préfère un autre alliage, décalé, nuancé, où la terreur et le rire se mêlent, où les attentes sont bousculées, où paraissent toute la complexité, l’entêtement et les contradictions des vies. C’est la colère autant que la tendresse qui façonnent ce théâtre, sans linéarité temporelle. La pièce assemble des pièces d’un puzzle pétri de subjectivité et d’instabilité inflammables où la force résistante de l’amour tente malgré tout de se frayer un chemin. A l’écoute de la fragilité des êtres, la scène laisse affleurer à la fois une profonde tristesse et une envie d’espoir, voire quelques traits d’humour. Que tombent les masques et les barbes des faux princes du désert !
Un théâtre façonné par l’empathie
L’intrigue éclaire la relation conflictuelle entre Salima, professeur de français dans un collège de banlieue, qui a combattu pour s’émanciper d’un destin tout tracé assujetti aux diktats masculins et au carcan des traditions, et sa fille Nina, une adolescente de 15 ans, qu’elle élève seule depuis qu’elle s’est séparée de son père. Toutes deux s’aiment fort, et se déchirent. Salima vient de perdre sa mère, qui a été enterrée en Algérie. Nina est choquée par la perte de sa meilleure amie, Kim. Par l’intermédiaire de Facebook, le jeune Amar s’invite et apaise les tourments existentiels de sa « gazelle ailée ». Partira-t-elle en Syrie auprès de son promis ? Dans un décor épuré, la mise en scène se déploie avec une remarquable fluidité entre récit et incarnation, assumant l’adresse au public ou instaurant une immersion dans un réel où s’invitent parfois des rêves aux allures de cauchemars. Une telle partition vivement rythmée exige des comédiens une aptitude millimétrée, où la moindre faiblesse se remarque. Dans le rôle essentiel de Nina, Louise Legendre est vraiment épatante, juste et touchante. Mounira Barbouch interprète impeccablement sa mère. Et Valentin Madani offre sa spontanéité à Amar, manipulateur effarant que le théâtre rend risible. Une pièce qui offre matière à réflexion pour les adolescents, nourrie d’une multitude d’échos, résonances et forces résistantes.
Agnès Santi
à 11h50. Relâche les 10, 17 et 24. Tél : 04 90 89 82 63.
Chercheuse associée au CNRS, maître de [...]