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Théâtre - Entretien

Isabelle Lafon s’attaque pour la première fois à Bérénice de Racine

Isabelle Lafon s’attaque pour la première fois à Bérénice de Racine - Critique sortie Théâtre saint denis Théâtre Gérard Philippe
Isabelle Lafon © René Jacques

Théâtre Gérard Philipe / texte de Racine / mes Isabelle Lafon

Publié le 19 décembre 2018 - N° 272

Après sa trilogie remarquée Les Insoumises, Isabelle Lafon s’attaque pour la première fois à un classique français. Sa création de Bérénice de Racine se distingue par une distribution atypique : un homme et quatre femmes.

Pourquoi avoir choisi Bérénice parmi toutes les pièces de Racine ?

Isabelle Lafon : Tout simplement parce que je l’aime beaucoup. Il y a dans cette pièce une simplicité d’action qui fait que le conflit, c’est la langue : se parler, faire dire quelque chose à quelqu’un… A ceux qui lui reprochent ce peu d’action, Racine écrit dans sa préface qu’« au contraire, toute l’invention consiste à faire quelque chose de rien ». Et ce « rien » c’est quand même l’amour ! Je ne suis pas une spécialiste de Racine, je n’ai jamais monté un classique français, je suis même un peu intimidée car beaucoup ont dit de très belles choses sur ses pièces. Mais ce qui m’a déterminée, c’est la distribution. Je n’ai pas pensé : tel acteur va jouer Bérénice, tel autre Titus, etc. Il se trouve qu’avec Karyll Elgrichi, Pierre-Félix Gravière, Johanna Korthals Altes, Judith Périllat, nous formons une bande qui a longuement improvisé pour un spectacle qui sera joué en mai à La Colline : Vues lumière. J’ai pensé que ce serait faire justice à ce groupe que de se retrouver ensemble pour Bérénice. Je crois que partir ensemble sans savoir qui on allait jouer, c’était possible seulement avec cette pièce.

Pourquoi pensez-vous qu’une distribution classique n’aurait pas fonctionné pour vous ? C’était trop intimidant ? Il fallait trouver une autre forme de jeu ?

I.L. : J’ai vu la pièce montée par Grüber, Vitez, Célie Pauthe. Je ne dis pas que j’ai envie exprès de faire autre chose mais je ne serais pas à l’aise, intimement, dans une distribution dite classique. Que ce serait-il passé si nous avions été par exemple 4 hommes et 2 femmes ? Je ne sais pas. L’important, c’était plus le désir commun de cette pièce que la distribution. Mais c’est vrai que quand vous entendez une femme jouer Titus, forcément, tout à coup apparaît quelque chose d’autre sur le sens du texte. Je ne dirais pas que s’entend quelque chose de différent – ce serait trop pompeux – mais de plus complexe.

« Cette pièce est de la pensée ouverte. »

Comment avez-vous défini les rôles ?

I.L. : Ils se sont définis seulement récemment, au cours des répétitions. L’homme prend finalement le rôle d’Antiochus, celui qui s’infiltre partout, qui parle à la place des autres. Il y aura peut-être une deuxième Bérénice. J’ai dans l’idée que cette pièce, ce langage sont tellement puissants, qu’il faudra peut-être à un moment demander un relais. Il n’est pas possible de dire tout cela en allant jusqu’au bout.

Quel est pour vous le sens de la pièce ? Vous avez parlé du langage, de l’amour, mais la politique est aussi très présente. Peut-on isoler un élément ?

I.L. : C’est exactement cela : « est-ce qu’on peut isoler un élément ? » Tout se mêle. J’ai du mal à me dire : « Titus veut le pouvoir et décide de renoncer à Bérénice. » Il y a quelque chose de plus subtil que cela. Qu’est-ce qui se passe avec ces alexandrins ? Qui parle ? A qui ose-t-on parler ? A qui ne parle-t-on pas ? Qui pousse la parole ? C’est quand même l’histoire de quelqu’un (Antiochus) qui est amoureux de Bérénice, elle-même amoureuse de Titus. Et Titus, qui est amoureux de Bérénice, doit régner et ne peut pas le dire donc il va demander à Antiochus de le dire. Je pars de cela. Que pensent tous ces gens ? La pièce est de la pensée ouverte, exposée. J’espère qu’on entendra cela : la puissance et la fragilité du langage, le langage du pouvoir, le langage d’amour, le rien de la parole et le tout.

Entretien réalisé par Isabelle Stibbe

A propos de l'événement

Isabelle Lafon s’attaque pour la première fois à Bérénice de Racine
du jeudi 17 janvier 2019 au dimanche 3 février 2019
Théâtre Gérard Philippe
59 boulevard Jules-Guesde, 93200 Saint-Denis

Du lundi au samedi à 20h, sauf samedi 2 février à 18h, dimanche à 15h30, relâche le mardi. Tél. : 01 48 13 70 00. Durée estimée : 1h30.

Tournée : MC2 Grenoble, du 8 au 14 février 2019 ; Théâtre Firmin-Gémier/La Piscine, Châtenay-Malabry, du 20 au 21 février 2019.

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