Contre le conservatisme du milieu du cirque
Martin Palisse / Entretien
Publié le 26 septembre 2018Directeur du Pôle National Cirque de Nexon Nouvelle-Aquitaine depuis 2014, Martin Palisse porte un regard sans concession sur l’état de sa discipline. Pour contribuer à son développement, il place les questions sociétales au cœur de sa mission.
Dans la dernière édition de La Route du Sirque (6-25 août 2018), festival porté par votre Pôle National Cirque, vous avez mis en avant la création féminine. Pourquoi ?
Martin Palisse : À l’issue de l’édition 2017, largement masculine, mon équipe et moi avons pris conscience d’un problème : en quatre ans, l’argent que nous avons distribué en coproduction a en grande majorité bénéficié à des hommes. Avec l’édition de cette année, notre but n’était donc pas d’inviter un maximum de femmes, mais de rétablir une égalité dans l’accès à l’argent destiné au travail, qui est de l’argent public. En tant que directeur d’une institution publique, je pense qu’il est de mon devoir de prendre en considération une question sociétale de cette importance.
Autre choix surprenant de votre programmation : la conférence gesticulée Inculture I de Franck Lepage, consacrée au rôle de la culture dans la société.
M.P. : Comme en témoigne l’inégalité constitutive entre hommes et femmes dans les arts du cirque, ces derniers sont dénués de conscience de société. Le milieu du cirque est devenu très conservateur, de moins en moins tourné vers l’expérimentation. D’où mon désir d’ouvrir le festival à d’autres formes et disciplines, et d’y amener de la pensée.
« Il est urgent que le milieu circassien sorte de sa zone de confort »
À quoi attribuez-vous cette évolution ?
M.P. : Elle va de pair avec la structuration et l’institutionnalisation de la discipline. En quelques années, le cirque a presque tout perdu de sa période faste, dont il nous reste encore des maîtres tels que Johann Le Guillerm et Jérôme Thomas. Les programmateurs sont à mon avis en grande partie responsables. Ils ont cessé de faire leur travail, de participer au développement des esthétiques.
Comment un Pôle National Cirque peut-il selon vous assumer cette fonction ?
M.P. : Déjà, il faut arrêter de ne programmer que des grands noms, dont certains sont de parfaits symboles du conservatisme du milieu. Yoann Bourgeois, par exemple, est le Sodexo du cirque. Diriger une institution n’a pour moi d’intérêt que si je peux y instaurer des mécanismes venant de l’alternatif. De plus en plus, je tente d’être une sorte de curateur. Je veux être à l’affût des nouvelles tentatives et pouvoir en susciter. D’où mon envie de rebattre complètement les cartes de La Route du Sirque l’an prochain. Il est urgent que le milieu circassien sorte de sa zone de confort…
Propos recueillis par Anaïs Heluin