La Terrasse

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Théâtre - Critique

Histoire de la violence D’après Edouard Louis, adaptation et mise en scène Laurent Hatat et Emma Gustafsson

Histoire de la violence D’après Edouard Louis, adaptation et mise en scène Laurent Hatat et Emma Gustafsson - Critique sortie Théâtre Béthune La Comédie de Béthune
© Victor Guillemot Louis Arene (Edouard) et Samir M’Kirech (Reda).

D’après Edouard Louis / adaptation et mise en scène Laurent Hatat et Emma Gustafsson

Publié le 29 janvier 2020 - N° 284

Avec Louis Arene (Edouard), Samir M’Kirech (Reda) et Julie Moulier (Clara), la mise en scène de Laurent Hatat  et Emma Gustafsson adapte et traverse l’autofiction polyphonique d’Edouard Louis avec finesse et précision.

Après un très réussi Retour à Reims, où la puissance de l’incarnation révélait les mécanismes de domination à l’œuvre dans l’ordre social et la nécessité de leur critique, Laurent Hatat poursuit dans la même veine en adaptant Histoire de la violence. S’il a attendu aussi longtemps avant d’adapter ce texte, c’est qu’il ne savait pas quel langage scénique adopter pour rendre compte de cette auto-analyse polyphonique, centrée sur l’agression qu’a subie Edouard Louis et ses implications. L’introspection exacerbée que livre l’auteur retrace le déroulé des faits lors de cette nuit du 24 décembre 2012, lorsqu’Edouard a fait monter un inconnu chez lui. L’histoire avait bien commencé, mais se termine par un viol sous la menace d’une arme et une tentative d’homicide. Outre le crime même, l’écriture analyse aussi la violence inhérente aux démarches médicales, policières et judiciaires qui s’ensuivent, obligeant à répéter l’horreur des faits face à des interlocuteurs qui se montrent parfois peu secourables. Comme le souligne Edouard : « tu es à la fois exclu de ta propre histoire et inclus de force puisqu’on te force à en parler, continuellement. » La pièce commence par une mise en abyme, lorsque Edouard derrière une porte écoute sa sœur raconter à son mari le récit qu’il lui a livré la veille, dans sa langue à elle. Le plateau est nu, sculpté seulement par les lumières, avec un sol luisant d’un noir de pluie. Délivrer la même histoire par des voix plurielles permet de souligner l’écart constitué entre Edouard et son milieu d’origine, qui l’a rejeté pour son homosexualité et qu’il a fui. Cet éclatement fragmenté de la narration met en perspective les divergences et les échos entre le passé et les traces qu’il laisse, entre les faits et leur réappropriation par la mémoire et par le langage. Un enjeu passionnant que la mise en scène éclaire avec délicatesse, sans surplomb ni parti pris réducteur.

Un théâtre charnel

Conjuguant moments incarnés ou réflexifs, le récit théâtral éclaire divers enjeux intimes, sociaux et politiques, qui se répondent. L’un des atouts de la mise en scène est la mise en valeur accordée à la voix de Clara, remarquablement interprétée par Julie Moulier, qui parfois replonge dans l’enfance, suscitant des réactions diverses de la part d’Edouard. Une situation théâtrale parfaite pour révéler parfois avec humour  les tensions et les blessures. Peut-être parce que le plus vrai réside dans ce qui demeure non-dit, Laurent Hatat et Emma Gustafsson – à la fois danseuse et comédienne – proposent un langage où se mêlent les mots et le mouvement des corps. Les gestes chorégraphiés expriment notamment l’ambivalence et la brutalité qui caractérisent la relation entre Edouard et Reda (interprétés avec talent par Louis Arene et Samir M’Kirech). Le pari est difficile, mais ils parviennent à éviter l’écueil d’une esthétisation, à laisser sourdre sans rien édulcorer ce qui est intérieur – la peur, la violence des sentiments, les désirs contradictoires… L’un des moments les plus touchants, c’est l’aveu final d’Edouard, qui en faisant référence à Hannah Arendt explique le recours au mensonge pour mettre à distance le traumatisme. « Ma guérison est venue de cette possibilité de nier la réalité. » confie-t-il. Ces phrases limpides si attachées à la personne d’Edouard acquièrent ici le pouvoir de dépasser son histoire. Le pouvoir de dire la violence en tant que donnée humaine fondamentale et permanente.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Histoire de la violence
du mercredi 12 février 2020 au vendredi 14 février 2020
La Comédie de Béthune
138 Rue du 11 Novembre, 62400 Béthune

La Comédie De Béthune, CDN Des Hauts-de-France, du 12 au 14 février 2020. Escher Theater Luxembourg, les 5 et 6 mars 2020. Le Phénix Scène Nationale De Valenciennes, les 19 et 20 mars 2020. Le Trident Scène Nationale De Cherbourg, les 24 et 25 mars 2020. La Rose des vents -Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d'Ascq, les 9 et 10 avril 2021. La Manufacture, Festival d’Avignon, juillet 2020. Spectacle vu à la Ferme du Buisson à Noisiel. Durée : 1h15.

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