La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Guy Cassiers s’empare avec une grande élégance du « Bérénice » de Racine

Guy Cassiers s’empare avec une grande élégance du « Bérénice » de Racine - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre du Vieux-Colombier
© Christophe Raynaud de Lage – Collection Comédie-Française 2025 Bérénice mis en scène par Guy Cassiers

Théâtre du Vieux-Colombier / Texte de Racine / Mise en scène de Guy Cassiers

Publié le 29 mars 2025 - N° 331

Pour sa deuxième mise en scène à la Comédie-Française, Guy Cassiers s’empare avec une grande élégance du Bérénice de Racine. En confiant les rôles centraux de Titus et Antiochus au seul Jérémy Lopez et ceux de Paulin et Arsace à Alexandre Pavloff, il active subtilement la capacité de cette tragédie à interroger les notions d’engagement et de responsabilité.

Si le metteur en scène flamand Guy Cassiers revient régulièrement à ses classiques, c’est le plus souvent sous la forme d’adaptations qu’il réalise lui-même, tels Les Démons, Oneguin, ou L’Homme sans qualités. Le Bérénice qu’il met aujourd’hui en scène à la Comédie-Française est en cela singulier dans son parcours. Du premier acte de la tragédie, où le roi de Commagène Antiochus avoue son amour à la reine de Palestine Bérénice alors que celle-ci se pense sur le point d’épouser Titus tout juste devenu empereur de Rome, jusqu’au cinquième et dernier acte où les trois protagonistes principaux se séparent à jamais, pas un mot de la pièce créée par Racine en 1670 ne manque au Théâtre du Vieux-Colombier. Guy Cassiers n’en renonce pas pour autant à son goût d’aller au classique par le contemporain. Cette inclination prend ici une forme particulièrement subtile, en ce qu’elle procède entièrement de la double contrainte que le metteur en scène a choisi d’accepter : celle de l’institution théâtrale française et de l’alexandrin. C’est à la fois à partir des interstices de la pièce de Racine et de sa distribution que Guy Cassiers ancre sa lecture de la célèbre pièce. En intervenant ainsi dans Bérénice, c’est à une profonde revitalisation qu’il opère. La scénographie de Guy Cassiers et Bram Delafonteyne, qui ici comme dans toutes les créations du Flamand signe aussi la réalisation vidéo, place d’emblée cette Bérénice dans une étrangeté qui sollicite l’imaginaire et l’interprétation.

Un triangle remanié

Qu’il maîtrise ou non son Racine, le spectateur ne peut que s’interroger sur la nature et la raison d’être de l’étrange objet blanc juché sur un présentoir en métal comme on en trouve dans les musées. Placée au centre du plateau composé de formes géométriques en partie modulables, cette forme peut être vue comme un symbole de la rencontre, du syncrétisme entre passé et présent auquel se livrent Guy Cassiers et les comédiens du Français. Il y a là une revendication de l’arbitraire des signes théâtraux, qui est aussi à l’œuvre dans le choix dramaturgique principal du spectacle : le refus de l’équivalence habituelle entre rôle et acteur. En confiant les rôles de Titus et d’Antiochus à Jérémy Lopez et ceux d’Arsace et Paulin à Alexandre Pavloff, tandis que l’excellente Souliane Brahim incarne Bérénice et Clothilde de Bayer sa confidente, Cassiers fait grincer les mécanismes de la tragédie classique en général. Et en particulier, il questionne les relations que met en jeu Bérénice. En procédant à une fusion progressive entre Titus et Antiochus d’une part et de l’autre entre les deux confidents de ces deux figures, les comédiens procèdent à une reconfiguration du triangle central de la pièce. Celui-ci n’est en effet en l’état plus tant mu par les principes de l’amour que par ceux du pouvoir. En cela, comme il le revendique très volontiers, Guy Cassiers s’inspire de la lecture que fait Roland Barthes dans son essai Sur Racine. Nourri par un jeu constant avec les conventions théâtrales, et par les formidables créations vidéo et son (Jeroen Kenens aux manettes) qui font de chaque passage d’un acte à l’autre des sortes d’orages de plus en plus intenses et psychédéliques, le triangle de ce Bérénice touche aux notions d’engagement et de responsabilité. En cela, ce spectacle est un riche et élégant miroir de nos sociétés actuelles, où ces valeurs sont loin de briller.

Anaïs Heluin

A propos de l'événement

Bérénice
du mercredi 26 mars 2025 au dimanche 11 mai 2025
Théâtre du Vieux-Colombier
21 rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris

le mardi à 19h, du mercredi au samedi à 20h30, dimanche à 15h. Relâche les 3 et 19 avril et le 1er mai. Tel : 01 44 58 15 15. Durée : 1h50.

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre

S'inscrire