La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Guillaume Clayssen

Guillaume Clayssen - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 mars 2011 - N° 187

L’intime monstrueux

Guillaume Clayssen s’empare du classique de Genet et invite le spectateur au cœur d’un huis clos diabolique qui dévoile notre intime monstrueux.

Qu’est-ce qui se joue entre Solange et Claire ?
Guillaume Clayssen : Une relation d’ambivalence tragique qui mêle violemment l’amour à la haine et ne trouve d’issue que dans une détestation projetée sur leur maîtresse. Solange et Claire ne peuvent supporter leur gémellité inextricable, leur impossibilité d’être séparées, tout en s’abhorrant.
 
Quelle est la fonction du jeu et de l’imaginaire dans leur relation ?
G. C. : Genet reproduit chez ses personnages le rapport à l’incarcération qu’il a lui-même vécu : enfermé régulièrement dès sa jeunesse en prison, il trouvait sa liberté dans l’immensité du rêve, dans l’écriture et la force subversive de la poésie. Il convoque ici l’imaginaire comme un outil de survie quand le corps est barricadé entre quatre murs. L’espace physique confiné pousse à s’évader vers un espace mental infini. Les deux bonnes inventent, à l’intérieur de leurs existences closes, un monde illimité où leurs fantasmes prennent vie. Elles mettent en scène l’imaginaire dans ce qu’il a de plus débridé, inépuisable. Le jeu devient l’expression de l’infini. C’est en cela qu’il touche toujours au sacré chez Genet : il organise à travers un rituel, une action collective et des règles précises, l’insupportable et désirable infini.
 
« Genet convoque ici l’imaginaire comme un outil de survie. »
 
Dans Comment jouer Les Bonnes ?, Genet réclame un « jeu furtif ». Comment l’appréhendez-vous ?
G. C. : L’étymologie de « furtif » renvoie à « voleur »… Le jeu doit alléger la prose parfois empesée, solennelle, de Genet qui emprunte à la tragédie classique, mais surtout doit débusquer la part de folie des spectateurs, « part maudite » comme dirait Bataille, car la monstruosité qui s’exprime dans l’imaginaire théâtral des Bonnes est aussi la nôtre. Le public ne peut pas être placé dans une position d’extériorité.
 
Comment cette position singulière du spectateur se traduit-elle ?
G. C. : Solange et Claire s’adonnent à leur cérémonial en secret. La pièce raconte une histoire sans public, dans une mise en abyme paradoxale qui pose la question de la représentation puisque c’est l’absence de regard qui permet le jeu des deux sœurs. Pour mettre le spectateur dans cette position de voyeur tout en l’incluant, la scénographie établit une continuité entre la scène et la salle, grâce à des totems inspirés de l’art brut et des œuvres d’Annette Messager. Ce dispositif scénique vise à transformer le regard, le rendre plus impudique, sacrilège, à activer l’ambiguïté entre le réel et l’irréel, le vrai et le faux.
 
Propos recueillis par Gwénola David


 
Les Bonnes, de Jean Genet, mise en scène de Guillaume Clayssen. Du 15 au 24 mars 2011 à la Comédie de l’Est – Centre Dramatique Régional d’Alsace. 6, route d’Ingersheim, 68027 Colmar. Renseignements au 03 89 24 31 78 et sur www.comedie-est.com

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