"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini
Focus -Les explorations musicales et visuelles de Solrey
La saison de Solrey, violoniste, fondatrice du Traffic Quintet, vidéaste et cheffe d’orchestre, illustre une palette créative qui compose des formes musicales et visuelles originales. Ciao Casanova, Architectures vivantes et Eldorado sont trois exemples de musique augmentée par la vidéo, qui portent l’empreinte d’une âme de violoniste. À quelques semaines de la reprise de Ciao Casanova à la Seine Musicale, Solrey partage quelques éclairages sur la singularité de son travail.
Que raconte Ciao Casanova ?
Solrey : Le spectacle a été créé lors des 80 ans de la Mostra en 2023. Venise m’a inspiré un adieu ultime à Casanova. Pendant un demi-siècle, les plus grands acteurs ont incarné ce mythe du séducteur. Au travers de l’histoire du cinéma qui construit notre inconscient collectif, la chute de ce personnage tragi-comique fait émerger de nouvelles figures de femme. Ciao Casanova est le reflet des évolutions militantes de notre époque, mais qui n’oublie pas l’humour. C’est une fantaisie baroque sur le ton des comédies italiennes que je veux porteuse d’espoir. La fin des Casanova ouvre la porte à de nouvelles relations entre hommes et femmes.
Comment avez-vous construit cet opéra-film ?
Solrey : Le fil conducteur est la musique : Stravinski, Rota, Mozart, Vivaldi, mais aussi des pages contemporaines, comme Desplat ou Williams, lorsque tombe le masque de Casanova et émerge une nouvelle époque de la séduction. Une fois que le scénario musical a été construit, j’ai réalisé un film qui puise dans notre patrimoine cinématographique, incrusté d’images tournées à Venise, dans un jeu d’apparitions et de miroirs. L’art vidéo permet de jouer avec la mémoire et la temporalité. C’est une sorte de révélateur qui invite le spectateur à sa propre déambulation imaginaire. Le matériel musical est arrangé pour le Traffic Quintet, un quatuor à cordes et une contrebasse, auxquels j’ai ajouté une harpe pour suggérer les couleurs vénitiennes de la guitare et de la mandoline, ainsi qu’une mezzo-soprano qui interprétera l’air du catalogue du Don Giovanni de Mozart. Je choisis des partitions qui peuvent être adaptées pour une formation chambriste comme la nôtre. La transcription va extraire la quintessence des œuvres, en jouant avec les timbres instrumentaux, tout en restituant l’ensemble des voix harmoniques. C’est ce travail de recomposition que je réalise également avec la vidéo à partir d’un répertoire d’archives visuelles, et qui façonne l’unité singulière de mon univers artistique.
En quoi vos deux autres productions de cette saison illustrent-elles cette démarche ?
Solrey : Architectures vivantes est une commande pour les 40 ans du Musée d’Orsay. Ma narration musicale doit s’adapter aux différentes expériences scientifiques illustrées par Manuel Théry. Je mélangerai les répertoires pour une dizaine de musiciens, avec le quintette à cordes comme base, qui porte l’empreinte de mon âme de violoniste. Pour Eldorado à la Philharmonie, je retrouve le Traffic Quintet pour la recréation, sous une nouvelle forme scénique immersive, d’un spectacle sur des images d’Ange Leccia et Dominique Foerster Gonzales donné il y a dix ans. Cette expérience sensorielle est un autre exemple de ma démarche qui inverse le rapport illustratif habituel entre musique et image.
Textes et propos recueillis par Gilles Charlassier
à 20h à La Seine Musicale ; Architecture vivantes, les 24 et 25 janvier à 19h30 et 21h au Musée d'Orsay; Eldorado, le 22 mars à 16h à la Cité de la musique.
