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"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -285-Paris l’été

Paris l’été, un festival pour se retrouver. Rencontre avec Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel

Paris l’été, un festival pour se retrouver. Rencontre avec Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel - Critique sortie Théâtre

Publié le 1 juillet 2020 - N° 286

Dans le strict respect des consignes sanitaires, cette édition particulière, qui se tiendra du 29 juillet au 2 août 2020 principalement au lycée Jacques Decour, préserve l’essentiel, proposant dans le sillage des éditions précédentes des scènes à ciel ouvert, des spectacles hors du commun, des manières autres de goûter l’art et le plaisir d’être ensemble.

Après la période éprouvante du confinement, après l’annulation des festivals d’été, n’avez-vous pas souhaité attendre la rentrée avant de programmer à nouveau ?

Laurence de Magalhaes : Il n’est pas souhaitable de vivre dans la peur et d’anticiper le pire. C’est pourquoi lorsque la situation sanitaire s’est améliorée, nous n’avons pas voulu attendre la rentrée, nous avons voulu au contraire préserver autant que possible notre festival, inventer une fête artistique et célébrer des retrouvailles très attendues par les artistes autant que par le public. Nous avons honoré les contrats de tous les artistes, et avons fait appel à quelques autres pour rendre le festival possible.

Stéphane Ricordel : Nous avons annulé le festival le plus tardivement possible. Une fois le déconfinement annoncé le 11 mai dernier, nous avons dans un premier temps envisagé un report à l’automne, mais avons rapidement renoncé à cette option ; les spectacles risquaient alors d’être confrontés à un effet d’embouteillage, et un festival de plein été qui se tient à la Toussaint, ce n’est plus pareil. Cela induit comme une idée de rattrapage qui se dilue dans la saison. Nous avons préféré maintenir une programmation estivale, en respectant l’intégralité des préconisations sanitaires. Nous ne connaissons pas de manière certaine les règles en vigueur aujourd’hui, et connaissons encore moins celles qui seront appliquées demain ou dans un mois. Ce qui est sûr, c’est que nous avons conçu chaque représentation pour gérer efficacement la protection du public, en mettant en place des jauges garantissant une sécurité maximum – environ 500 personnes pour les installations les plus importantes – ainsi que des protocoles clairs et organisés. Tous les spectacles ont lieu en plein air, à l’exception de A Game of you de la compagnie Ontroerend Goed, qui s’adresse à un seul spectateur à la fois.

Pourquoi proposer un festival entièrement gratuit sur réservation ?

L. de M. :  Les gens ont vécu une situation difficile, la précarité a progressé et certaines personnes connaissent une situation dramatique. Financièrement mais aussi psychologiquement, le confinement a provoqué des dégâts importants. C’est pourquoi nous avons choisi la gratuité pour offrir nos propositions comme des cadeaux, dans un esprit festif et convivial. Faire vivre la culture pour tous et avec tous, même s’il ne s’agit que de cinq jours au lieu des trois semaines initiales, cela s’inscrit tout à fait dans le cadre de nos missions. La réservation est obligatoire pour assister aux représentations. C’est une année particulière à laquelle nous avons répondu de façon particulière. Nous avons concocté un festival joyeux et accessible, dans une atmosphère festive et enfin partageuse.

« C’est une année particulière à laquelle nous avons répondu de façon particulière. » Laurence de Magalhaes 

« Nous évoluons sans cesse en étant perméables aux enjeux de société. » Stéphane Ricordel

Qui sont les artistes programmés ?

S.R. : Comme chaque année, nous proposons une programmation pluridisciplinaire – théâtre, danse, cirque, magie, performances, installations, concerts… –    qui sort des cadres habituels. Pour inaugurer le festival, nous avons laissé carte blanche à François Alu, artiste superbe, danseur de l’Opéra de Paris et adepte autodidacte de hip-hop. Cette soirée plurielle ponctuée d’impromptus fait place aussi à un bonimenteur particulièrement stimulant, Sébastien Barrier, qui convie le public à goûter des vins naturels autant que sa parole voyageuse. Pour finir, dimanche 2 août, nous avons consacré une journée aux familles, en ayant à l’esprit que le confinement avec de jeunes enfants a constitué une épreuve pour nombre d’entre elles. Dans l’enceinte du lycée, qui fut alors espace interdit et menaçant, les familles pourront apporter un pique-nique, retrouver le bonheur du collectif. Les enfants pourront courir en toute liberté et en toute sécurité.

L. de M. : Pour cette édition pas comme les autres, nous avons aussi concrétisé un désir que nous avions depuis longtemps, celui d’inclure dans notre programme… la Seine, qui fut si belle et si calme pendant le confinement ! Nous proposons deux concerts très pêchus à écouter en déambulant sur les quais, l’un par le groupe ukrainien DakhaBrakha et l’autre par la chanteuse algérienne Djazia Satour, joués sur une péniche voguant du Pont de l’Alma à la Bibliothèque Nationale de France. Les installations invitent quant à elles à des promenades spectaculaires, poétiques et tendres. Purple Rain du plasticien Pierre Ardouvin plonge l’assemblée sous une étrange pluie violette et dans un nuage de souvenirs du septième art, et BOREALIS de Dan Archer immerge le public dans une aurore boréale plus vraie que nature. Autre moment original, celui qu’imagine Laetitia Dosch. Radio arbres donne en effet la parole aux arbres lors d’une surprenante émission de radio. Chacune des représentations du festival déploie un regard étonnant sur le monde et sur l’art.

Comment analysez-vous le rapport entre le monde politique et le monde culturel pendant cette crise ?

S. R. : Nous avons été confrontés à des injonctions peu claires et à un manque de considération pour nos compétences. Le Président de la République a invité les acteurs culturels à se réinventer, à inventer le monde d’après. Or nous n’avons pas besoin de nous réinventer puisque nous exerçons un métier d’invention. En tant que responsables de lieux culturels, nous sommes toujours dans une remise en cause et une réflexion sur nos missions, nous évoluons sans cesse en étant perméables aux enjeux de société, dont les artistes s’emparent à travers leurs gestes créatifs. Comment définir ce qui est utile à la nation ? La culture est-elle exclue de ce champ dit utile ? Nous sommes dans un monde dont la finalité accentue toujours plus la course au profit, ce qui génère une propension à exclure l’autre.

L. de M. : Plutôt que me réinventer, je préfère être responsable. D’autant que j’aimais bien le monde d’avant ! Le seul aspect qu’en raison d’une prise de conscience tardive nous pouvons transformer dans nos lieux, c’est l’engagement écoresponsable en réduisant notamment la pollution numérique et la consommation de papier. Quant au festival, il s’inscrit dans une continuité, pour renouer avec le sens de la fête, entre spectacles, rencontres, découvertes, transats et bar dessiné par Johann Le Guillerm. En toute convivialité et en toute sécurité !

 

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement

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