La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -269-Compagnie La Part des Anges

La scène, un espace où l’intime croise le politique

La scène, un espace où l’intime croise le politique - Critique sortie Théâtre
Pauline Bureau © Paul Allain

Entretien Pauline Bureau

Publié le 21 septembre 2018 - N° 269

Auteure, metteure de scène et directrice artistique de la compagnie La Part des Anges, Pauline Bureau explicite sa manière de concevoir le théâtre. A l’écoute du monde.

Comment s’est construit votre rapport à la scène ?

Pauline Bureau : C’est au théâtre que je me suis sentie à ma place. Suite à une formation au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, j’ai fondé la compagnie en 2007 avec des camarades de promotion. Je me suis tout de suite orientée vers la mise en scène, puis, surtout depuis Sirènes en 2014, vers l’écriture. Ecrire et mettre en scène permet une grande liberté et une recherche aussi précise que possible du mot juste et de l’émotion que l’on souhaite transmettre. Les acteurs sont au centre de mon travail, dans un aller-retour qui se peaufine. Souvent j’écris en fonction d’eux, de leur présence au plateau, et ce qu’il propose ensuite se révèle meilleur que ce que j’avais imaginé. Nous sommes une équipe d’une quinzaine d’artistes et techniciens, nous nous connaissons depuis plus de 10 ans, nous créons ensemble sans nous installer dans le confort de ce qu’on connaît de l’autre. Le grand avantage, c’est que la question de la confiance est gagnée d’avance !

« Aborder des sujets tabous sur le plateau, des sujets qui rendent honteux et coupables, cela fait du bien à tout le monde. »

Votre écriture se fonde sur le réel. Pourquoi ?

P. B.: Je trouve fascinant de porter à la scène des histoires réelles pour en dégager les lignes de force, la poésie, l’engagement et les combats qu’elles représentent. Ce qui m’intéresse surtout, c’est explorer les liens complexes qui se tissent entre les champs intime, psychologique, juridique et sociétal, c’est la manière dont nos vies sont façonnées par la loi, la culture et les normes sociales. Cela de manière plus ou moins consciente, voire même inconsciente ! Les créations Modèles (2011) sur la construction des identités féminines, Dormir Cent ans (2015) sur le passage à l’adolescence, Mon Cœur (2017) sur l’affaire du Mediator : chacune à leur manière, ces pièces nous ont conduits à une prise de conscience, partagée avec les spectateurs. De même, Hors la Loi sur l’avortement, qui sera créé en mai 2019 à l’invitation de la Comédie-Française, s’avère très éclairant. Aborder des sujets tabous sur le plateau, des sujets qui rendent honteux et coupables, cela fait du bien à tout le monde. Cette appréhension par la scène a un effet cathartique. Lorsqu’on se documente, il est d’ailleurs stupéfiant de constater que la réalité est toujours plus folle que ce que l’on croyait. Parfois plus belle, souvent plus violente. Les témoignages recueillis et les faits constatés pour la création de Mon Cœur sont par exemple d’une violence inouïe. Créer à partir du réel, qui est toujours multiple, cela implique de prendre le risque de la rencontre. On accepte d’être changé par les gens qu’on rencontre, les choses se complexifient. Le plateau devient alors un point de rencontre, avec des êtres et une pensée en mouvement. Plus c’est vivant, mieux c’est !

La question du féminin traverse vos spectacles…

P. B.: La création de Modèles en 2011 a entraîné pour moi une prise de conscience, m’a permis de comprendre quelle était ma place en tant que femme. C’est un spectacle fondateur, qui a tourné jusqu’en 2015 et que nous avons écrit collectivement à sept, en interrogeant les petites filles que nous étions et les femmes que nous sommes devenues. Ce questionnement très concret m’a rendu beaucoup plus sensible aux inégalités entre hommes et femmes, qui sont connues, dont on débat, et qui pourtant ne cessent pas. Voilà pourquoi j’ai envie de voir exister certains personnages sur le plateau plutôt que d’autres. Cet axe de recherche invite à déjouer toutes sortes de mécanismes d’autocensure puissants. Aujourd’hui encore, les femmes sont plus habituées à être regardées qu’à regarder. Il faut ouvrir le champ des possibles. Un tel champ d’investigation est un terreau fertile. D’autant qu’être actrice ou metteure en scène implique de dépasser le fantasme qu’on a de soi, génère un travail d’ouverture d’esprit, de lucidité, sans se laisser enfermer dans un perfectionnisme mortifère. Il s’agit plutôt d’une quête, toujours en mouvement, comme la vie…

Quelle est l’actualité de cette saison 2018/2019 ?

P. B.: Plusieurs spectacles sont en tournée, dont Mon Cœur, Dormir 100 ans, et Bohème, notre jeunesse, que j’ai adapté, traduit en français et mis en scène d’après l’opéra de Puccini. Hors la loi, qui sera créé au printemps, éclaire l’histoire de Marie-Claire Chevalier, jeune fille de 16 ans violée, dénoncée, arrêtée et accusée pour ce qui constitue alors un crime : l’avortement. Gisèle Halimi la défend lors du Procès de Bobigny en octobre 1972, en une plaidoirie qui se fait tribune publique contre une loi assassine, qui a entraîné la mort de dizaines de milliers de femmes. Les minutes du procès sont sidérantes. Nous nous sommes rendus compte que lorsque les langues se délient, on découvre quasi dans chaque famille une histoire d’avortement clandestin. Le point de départ du spectacle, c’est une interview passionnante de Marie-Claire Chevalier que nous avons réalisée aujourd’hui. Le spectacle éclaire les croisements qui opèrent lorsqu’une histoire individuelle rejoint la grande Histoire. Il est fascinant d’observer comment la construction de la loi reflète l’état de la société, et le théâtre est un bel endroit pour dévoiler l’expression de l’intime et ses répercussions.

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement



Compagnie La Part des Anges. www.part-des-anges.com  

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