Bach Nord [Sortez les guitares] : amateurs et professionnels dansent ensemble

« La compagnie Hylel est un projet artistique, humain et politique », résume Marina Gomes. « C’est un endroit où l’on prend soin les uns des autres ». Celle qui découvrait le rap et la danse hip hop dans le quartier du Mirail à Toulouse, jusqu’à participer à de nombreux shows internationaux, ne s’est jamais éloignée de ce qui la constitue. « Je fais partie de la « génération Karcher », celle qui est descendue dans la rue au moment de la mort de Zyed et Bouna, qui a vécu ces moments de révolte, mais aussi de mise en mouvement collectif avec l’espoir que quelque chose change ». Diplôme de psychologue en poche, elle intervient alors dans le domaine de la protection de l’enfance, sans jamais se défaire de sa pratique de la danse. Aujourd’hui à la tête de la compagnie Hylel, ses projets reflètent la singularité de son parcours d’artiste et de femme engagée, qui vécut quelque temps en Colombie, avec le rap et le hip hop comme vecteurs de résilience. En 2020, elle installe sa compagnie dans le 3^e arrondissement de Marseille, « avec l’idée de faire des pièces qui vont parler de nos trajectoires ». Après ’Asmanti [Midi-Minuit], conçu comme un plan-séquence de la vie du quartier, elle crée Bach Nord [Sortez les guitares] selon une démarche particulière : elle mêle à son équipe de danseurs de jeunes amateurs qui partagent le processus de création. À chaque lieu de diffusion de la pièce, un nouveau groupe est constitué, et la pièce se recrée au gré des rencontres et des territoires traversés.

Crédit : Pierre Gondard
Bach Nord [Sortez les guitares], création participative lauréate du mécénat de la Caisse des Dépôts.

« Le projet est né en réponse au film BAC Nord, où l’on s’est senti maltraités par la mauvaise image des quartiers populaires qu’il véhiculait. En bas de chez moi, il y avait un tag qui disait : Écoutez Bach, évitez la BAC. C’est ça qui a été le point de départ ». Jean-Sébastien Bach côtoie ici bien d’autres sonorités composées par Arsène Magnard pour mieux raconter le quotidien des jeunes en évitant les images toutes faites. Prévu comme un « one shot » au festival de Marseille en juin 2023, le projet fait grand bruit et remporte un vif succès, si bien que les demandes de diffusion se multiplient. Bach Nord [Sortez les guitares] devient alors un projet participatif. Le processus engage ses jeunes participants dans la pratique sous forme de stage le week-end, ou en immersion pendant les vacances scolaires, sur une semaine ou toute l’année selon les moyens que les lieux peuvent dégager. Milieux scolaire, socio-éducatif, carcéral, associatif… Grâce au soutien du mécénat Danse de la Caisse des Dépôts, Bach Nord a la capacité de s’adapter et fédérer les publics autour d’un acte collectif partagé. Avec son équipe de douze danseurs et danseuses, Marina Gomes peut ainsi concevoir chaque diffusion comme un projet à géométrie variable. « C’est une création à partir de la confiscation de la parole de la jeunesse des quartiers. Mais c’est finalement une thématique qui peut se retrouver à plein d’endroits, notamment hors des quartiers populaires. Je pense notamment au travail que nous avons fait avec des lycéens de Saint-Tropez, où nous avons pu réfléchir sur les clichés qu’ils subissent eux-mêmes, et faire en sorte que le vivre ensemble ne soit pas un gros mot ». Ces expériences collectives sont renouvelées, promptes à porter à la fois l’empreinte des habitants et des lieux, comme l’été dernier au Palais de la Porte Dorée, « un moment formidable et très chargé dans ce lieu lié à la colonisation ».

Nathalie Yokel